pays. — Je dis le pire, sans même excepter une restauration du régime bonapartiste. C’est dire dans quelle estime : je tiens ces hommes ; et je vous avoue que c’est un vrai supplice pour moi que de me rencontrer avec eux sans pouvoir leur dire ce que j’ai sur le cœur.
… Ta goutte, mon cher ami, n’est qu’un mal à l’eau de rose auprès des quatre ou cinq maladies mortelles qui rongent à tour de rôle notre malheureux pays : radicalisme, socialisme, cléricalisme et césarisme. Dans ce moment, c’est la pestilence cléricale qui remporte, car c’est elle seule qui a fait la fusion. Je suppose que nous en venions à bout, ce qui est loin d’être certain, nous aurons travaillé au profit d’un autre de ces fléaux, probablement du césarisme… Quant à moi, je voudrais être né Huron, vivre au fond des bois et n’avoir jamais à entendre parler de la France.
C’était l’appréhension du succès de la fusion projetée entre les deux branches de la maison de Bourbon qui arrachait à Lanfrey ces accens de colère chagrine. Son irritation n’allait point jusqu’à porter atteinte aux relations cordiales entretenues jusqu’alors avec son chef hiérarchique, qui se plaisait à rendre justice à son mérite et à l’excellente attitude de notre représentant en Suisse. C’est pourquoi, plein de confiance dans la loyauté du duc de Broglie, il prenait le parti de s’adresser directement à lui.
21 octobre 1873.
… Je supposer mon cher ministre, que vous êtes maintenant un peu mieux fixé qu’il y a quelques jours sur ce qui va se passer. Quant à moi, je le vois comme si j’y étais, et, je l’avoue, je désirerais beaucoup me tromper. Où trouverez-vous un roi constitutionnel comme le maréchal Mac-Mahon ? Je ne me crois aucun fétichisme d’aucun genre, et j’estime qu’une monarchie comme la Belgique est infiniment plus libre qu’une république comme la Suisse… Serons-nous condamnés à chanter de nouveau les chansons de Béranger, et ne sommes-nous plus capables que de rabâcher notre propre histoire ? Ces éternelles redites sont bien humiliantes. Quant à moi, je vois avec un vif regret approcher le moment où je devrai me séparer de vous, mais je suis bien sûr de me retrouver à vos côtés toutes les fois que la liberté sera en péril, car c’est là la seule redite sur laquelle on ne se blase pas. J’espère que vous ne verrez aucun inconvénient à ce qui je prenne part aux délibérations de la chambre dans des circonstances si critiques pour notre pays.