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érudition de seconde main, une ignorance absolue du présent. Les orateurs de l’assemblée nationale suivaient presque unanimement son exemple. Toute cette science historique aboutissait d’ailleurs en fin de compte à l’acceptation de la loi. Qu’avions-nous donc gagné à attendre ? Rien ! Qu’y avions-nous perdu ? La direction des nouveaux tribunaux, dont les Autrichiens et les Allemands s’emparaient pendant que nous nous perdions dans une admiration rétrospective et un culte tardif des grandes œuvres de François Ier !

Ce n’est pas que les répugnances de la France à accepter la réforme judiciaire, telle qu’on l’avait organisée, fussent dénuées de motifs sérieux ; seulement, on se trompait sur ces motifs : on s’attachait aux plus vains et aux plus factices ; on n’apercevait pas ceux qui auraient dû réellement nous inspirer quelque méfiance sur les suites de l’entreprise qui s’accomplissait en Égypte. Uniquement préoccupé de la protection des colonies européennes en Égypte, on ne songeait pas à se prémunir contre le rôle politique que les nouveaux tribunaux allaient être fatalement tentés de jouer. On craignait le gouvernement du khédive ; on avait peur qu’il ne s’emparât de la magistrature, qu’il n’en fît l’instrument docile de ses volontés ; on cherchait à donner de grands pouvoirs aux magistrats pour les aider à résister à ces tentatives de séduction ou d’intimidation ; et l’on ne pensait pas qu’il serait peut-être sage de prendre des précautions, non-seulement contre les empiétemens du khédive, mais encore contre l’abus que la magistrature pourrait faire de sa puissance. Il eût été pourtant assez facile de deviner que, dans un pays où il n’y avait ni clergé, ni aristocratie, ni classe dirigeante, un corps de magistrats muni d’attributions presque illimitées et pouvant juger presque tous les actes de la puissance publique, acquerrait une autorité au moins égale à celle du vice-roi. L’effort de nos négociateurs avait été uniquement concentré sur des questions de compétence purement judiciaire. N’aurait-il pas mieux valu se préoccuper quelque peu de la situation exceptionnelle que l’on faisait à la cour d’appel d’Alexandrie, au-dessus de laquelle on avait renoncé à mettre une cour de cassation, en lui donnant des pouvoirs d’une étendue telle qu’aucune autre cour au monde n’en possède de pareils ? Juge à la fois du fait et du droit, cour d’appel et cour de cassation, chargée en outre de la discipline judiciaire, reconnue compétente dans les procès où le gouvernement et les administrations publiques sont en jeu, n’ayant à côté d’elle, pour tempérer ses empiétemens, ni tribunal des conflits, ni conseil d’état, comment n’aurait-elle pas abusé d’avantages si exorbitans ? Mais si l’on était inquiet de l’usage qu’elle pouvait faire de son autorité, c’était uniquement dans la crainte qu’elle ne se laissât gagner