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Quelle force n’aurions-nous pas acquise en Égypte si nous nous étions moralement emparés de cette magistrature ? L’entreprise n’offrait aucune difficulté. Pour y réussir complètement, il aurait suffi de nous décider vite à accepter la réforme judiciaire, et, cette réforme acceptée, d’envoyer en Égypte, comme défenseurs de nos intérêts, des magistrats jeunes, intelligens, actifs, qui y auraient pris tout de suite une position à part, puisqu’ils y auraient connu mieux que personne une législation calquée sur la nôtre, des codes imités des nôtres, des principes de droit et de justice qu’on était venu chercher dans notre pays. Par malheur, cette politique n’était du goût ni de nos diplomates ni de l’assemblée nationale. Dès les premiers mois de 1874, l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne, jouant le rôle que nous laissions échapper, signaient avec l’Égypte une convention destinée à suspendre pendant cinq ans la juridiction consulaire. Toutes les autres puissances imitaient peu à peu cet exemple. Pendant ce temps nous négociions toujours ! L’année 1875 était à moitié écoulée. Fatigué de nous attendre, le gouvernement égyptien organisait activement ses tribunaux ; les présidences, les vice-présidences, les greffes, tous les postes de magistrats, toutes les places de fonctionnaires de l’ordre judiciaire et d’officiers attachés à l’ordre judiciaire étaient remplis, et, comme nous n’étions pas là pour nous défendre, presque aucun Français n’y était admis. Des hommes étrangers à nos lois et à nos pratiques d’administration judiciaire occupaient les positions que nous aurions dû prendre à tout prix. Inaugurant l’omnipotence qu’elle allait s’arroger pendant cinq ans, la cour d’appel d’Alexandrie composait et imposait au gouvernement égyptien un règlement général judiciaire qui mettait entièrement le parquet, les tribunaux de première instance et l’ordre des avocats sous sa dépendance et qui, sur plusieurs points importans, méconnaissait la convention diplomatique par laquelle les tribunaux nouveaux étaient institués. Enfin, le 28 juin 1875, le khédive ouvrait ces tribunaux dans une brillante solennité, où le consul français faisait seul défaut. Pendant que les autres puissances s’empressaient d’occuper le terrain judiciaire où allaient se livrer toutes les luttes futures pour la prépondérance en Égypte, la France s’occupait à se retracer à elle-même les souvenirs glorieux de l’époque lointaine où elle obtenait, au moyen de capitulations, une influence sans rivale en Orient et où tout le monde était obligé de se couvrir de son pavillon pour faire le commerce dans le Levant. Le rapporteur du projet de loi sur la réforme judiciaire, M. Rouvier, retenait longtemps l’assemblée nationale au milieu de ces vieux souvenirs qu’il corroborait de tous les vieux textes dont il avait pu faire la découverte. Il se complaisait dans ces recherches archaïques, où brillait, à côté d’une