Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvons avoir qu’un gouvernement d’équilibre, se recrutant un peu partout, vivant de concessions et de compromis. Et ensuite, est-ce bien à un vieillard de soixante-quinze ans que vous allez demander des coups de force et d’audace ? Il n’en a ni le tempérament ni le goût. Pour moi, ce n’est pas là ce que je lui reproche. Ce qu’où pourrait lui imputer plus justement, c’est, avec des dons merveilleux, de n’avoir pas la sagesse et le bon sens qu’un simple paysan aurait à sa place, — c’est de céder à des impatiences, à des susceptibilités d’enfant, de pousser l’obstination jusqu’à l’absurde, de laisser, par un dépit puéril, l’assemblée sans aucune direction parce qu’elle n’a pas voulu suivre dans tous ses détours celle qu’il voulait lui donner. Si le gouvernement, au lieu d’affecter de se désintéresser du travail législatif, appelait assidûment l’attention et l’activité des hommes de bonne volonté sur toutes les réformes qui réclament une prompte solution, s’il s’appliquait à stimuler leur ardeur en présentant de bons projets de loi, de sérieuses études sur les questions d’affaires, le seul contraste de sa conduite avec les pauvres intrigues de ses adversaires suffirait pour lui assurer une grande popularité. Mais il ne fait rien, voilà le grand mal, et la souveraineté a l’air d’être à l’encan, la place semble, vacante : c’est à qui se l’adjugera. En cela, ces prétendans de tout étage me paraissent plus avides que difficiles. Est-il donc si tentant de posséder le cadavre d’une nation ?

Pour vous dire mon avis en un mot, mon cher ami, en France, aujourd’hui, tout est impossible. Partez de là quand vous voudrez inventer une politique. Croyez-vous, par hasard, que le mal dont nous parlons soit un mystère ? Mais tout le monde le connaît, le signale, le rabâche à satiété, et personne ne fera rien pour le guérir. Quand les terribles événemens de l’année dernière n’ont rien produit sur l’esprit de ce peuple, pensez-vous que ce sont quelques phrases plus ou moins bien tournées qui vont le rappeler à la raison ? Vous êtes un peu médecin, eh bien ! souvenez-vous que, s’il est permis à la science de s’agiter et de se troubler devant les souffrances qu’elle peut soulager, elle doit être calme devant les maux incurables.


L’impression favorable produite à Berne par l’arrivée de Lanfrey n’a pas diminué pendant les deux années qu’il y a passées comme représentant la France auprès de la Confédération helvétique. Ce fut au président Schenck qu’il présenta, le 7 novembre 1871, ses lettres de créance en audience officielle, vêtu contre l’habitude d’un simple frac noir au lieu de l’habit brodé d’ambassadeur, circonstance insignifiante, qui ne laissa point que de produire une certaine impression, plutôt favorable, dans ce milieu tout démocratique. Un mois plus tard c’était avec le nouveau président, M. Cérésole,