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où l’on se perd pourraient bien commencer à fatiguer l’Europe, et que ni en Allemagne, ni en Autriche particulièrement, on ne paraît disposé à continuer ce jeu d’interventions ou de démonstrations sans issue. Ce n’est point assurément que M. de Bismarck, quand il le veut, quand il le croit utile à sa politique, soit homme à reculer devant les complications et à s’effrayer d’avoir à conduire à la fois toute sorte de questions brûlantes. Pour le moment, il n’en est pas là. Est-ce l’effet d’une direction savamment imprimée à l’opinion par le chancelier, ou bien est-ce le chancelier qui croit habile de suivre en cela le mouvement de l’opinion ? Toujours est-il qu’à Berlin on a l’air de ne s’intéresser aux affaires d’Orient que dans la mesure où ces affaires peuvent réagir sur la paix générale. L’Allemagne a ses préoccupations intérieures, ses luttes de partis, ses conflits d’intérêts, ses incidens. Hier, c’était la fête nationale de l’achèvement du dôme de Cologne, à laquelle l’empereur Guillaume est allé assister. Aujourd’hui c’est le Landtag prussien qui vient de s’ouvrir à Berlin. Bientôt ce sera le parlement allemand qui entrera en session. M. de Bismarck, quant à lui, est depuis quelques mois tout entier à sa politique financière et économique, à des projets qu’il prépare, auxquels il attache assez de prix pour s’être chargé lui-même du ministère du commerce. M. de Bismarck, en homme de son temps, sent l’importance des questions d’économie publique, et il paraît être en train d’attaquer les révolutionnaires, les socialistes de l’Allemagne, non plus seulement par des lois répressives, par le grand ou le petit état de siège, mais par des réformes conçues à sa manière, par une sorte de socialisme d’état dont l’opinion commence à se préoccuper. Ce que sera ce système économique, on ne le voit pas bien encore ; on ne voit qu’une chose, c’est le soin jaloux avec lequel le chancelier, après avoir fait l’Allemagne par la diplomatie et par les armes, s’occupe à lui donner une constitution financière et industrielle.

Il est certain, comme le disait ces jours derniers M. le président de la république en recevant les délégués étrangers d’un congrès postal réuni à Paris, il est certain qu’au temps présent, l’industrie, le commerce, les intérêts matériels, les forces économiques, les capitaux ont un grand rôle dans la vie et les relations des peuples. Ce sont des élémens essentiels de la politique dans tous les pays, en Autriche comme en Allemagne ; ils entrent dans toutes les combinaisons. C’est bien aujourd’hui, à ce qu’il semble, la pensée du cabinet cisleithan à Vienne. Tandis que le baron Haymerlé multiplie au nom de l’empire, devant les délégations autrichiennes réunies à Pesth, les déclarations les plus pacifiques, le chef du ministère cisleithan, le comte Taaffe, suit avec une habile constance une politique qui lui suscite sans doute beaucoup d’ennemis. Il a contre lui les Allemands, les centralistes, qui lui ont déclaré une guerre passionnée, qui ont tenu dans ces derniers temps