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exécutés en offrant ce qu’ils n’avaient d’ailleurs jamais absolument refusé, la cession de Dulcigno, — et cette fois c’était sérieux. On n’en peut douter, le baron Haymerlé le disait ces jours derniers encore avec son autorité officielle devant les délégations autrichiennes : « Il n’est plus douteux que la Porte n’ait sérieusement l’intention de céder Dulcigno. Les difficultés ne portent plus que sur des détails, comme la date de l’entrée en possession des Monténégrins et la demande de ceux-ci que Dulcigno leur soit remis avec les formalités d’une capitulation militaire… » Que les difficultés de détail dont parle le baron Haymerlé aient leur gravité, quelles impliquent quelques délais, c’est vraisemblable, si on veut bien ne pas oublier que les Turcs ont leur manière de procéder, que le temps compte peu pour eux, et qu’après tout, ce qu’on leur demande, c’est le sacrifice d’un territoire que la fortune des armes a laissé entre leurs mains. En réalité, la question essentielle n’est pas moins tranchée et, d’après toutes les apparences, les Turcs se mettraient en mesure de faire honneur aux vœux de l’Europe. Un nouveau commandant militaire serait déjà envoyé, l’armée régulière serait augmentée en Albanie pour dominer les résistances ; on est en voie de négociation pour la remise définitive de Dulcigno. L’opposition des Albanais, bien qu’elle semble encore vive, devra évidemment céder devant la résolution formelle des Turcs.

Cette affaire de Dulcigno, elle peut donc être considérée comme à peu près réglée. Malheureusement, ce n’est là qu’une partie du programme de la dernière conférence de Berlin, et tandis qu’on en finit sur les côtes d’Albanie, la question renaît ou plutôt reste tout entière en Épire, en Thessalie pour la délimitation grecque. Ici on se trouve entre l’Europe qui a tracé des frontières de fantaisie, la Porte qui n’accepte pas du tout l’œuvre de la diplomatie, et la Grèce qui, à son tour, entre en scène sur la foi d’une délibération européenne, de ce qu’elle considère comme une promesse. Quelles seront maintenant les suites de cette situation où les difficultés ne font que se déplacer ?

Évidemment un des malheureux résultats de la politique à laquelle on s’est laissé aller a été d’égarer le sentiment hellénique en lui promettant ou en paraissant lui promettre plus qu’on ne pouvait tenir, et de placer la Grèce dans un dangereux état de surexcitation. Le roi George a passé ces derniers mois à parcourir l’Europe. Il a visité les cours et les capitales, Paris comme Londres, Berlin et Vienne. Il a pris peut-être pour des engagemens des témoignages de sympathie qu’on ne refuse jamais à la Grèce. Il est rentré récemment à Athènes, et dès son retour il a ouvert le parlement hellénique. Le roi George a tenu naturellement un langage assez belliqueux. Il s’est prévalu des décisions de la diplomatie conférant à la Grèce la nouvelle frontière qui rattache au royaume des membres épars de la mère patrie. Il a fait appel à