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aux chambres ? Alors tout eût été éclairci ; la situation aurait été nette. C’était la seule solution régulière. Le reste n’est qu’une interprétation facultative et discrétionnaire d’administration ; c’est l’arbitraire, dont on se réserve de régler l’usage dans un intérêt d’état dont on est juge, et en invoquant la raison d’état, appuyée de mesures de haute police, qu’il s’agisse de moines ou d’autres personnes, sait-on ce qu’on fait ? Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, on absout tous les attentats, grands ou petits, dont l’essence est précisément l’exécution sommaire, non par mandat de justice, mais par voie de haute police. On innocente le dernier empire dans son origine de même qu’on l’imite dans ses procédés. On donne pour son propre compte, pour le compte de la république, un exemple de plus de cet arbitraire administratif qui se produit sous toutes les formes, même sous la forme comique, qui est si bien devenu une tradition qu’on s’en sert presque naïvement à toutes fins, à tous propos, comme si rien n’était changé dans les institutions. Si encore il y avait et s’il pouvait y avoir un résultat sensible, sérieux, proportionné aux efforts qu’on est obligé de faire et aux difficultés qu’on se crée ! Mais quoi ! on aura dispersé quelques capucins, quelques prémontrés ou barnabites, — et pour cela depuis six mois un gouvernement tout entier s’agite, passe par des crises intérieures, s’excite lui-même, provoquant d’un autre côté une agitation, des démonstrations qui à leur tour peuvent être exagérées, qui ne sont pas moins dangereuses parce qu’elles remuent des sentimens profonds. On vit dans un état de crise factice sans raison, sans profit ; et qu’on remarque la dure alternative où l’on se trouve conduit : s’arrêter tardivement, ce serait un aveu d’impuissance, un échec qui ne serait pas aujourd’hui sans gravité et sans inconvéniens, nous en convenons ; aller plus loin, aller jusqu’au bout, c’est s’exposer à prolonger ce spectacle de l’autorité compromise, de préfets condamnés à un triste rôle, de portes enfoncées, d’appareils militaires bizarrement déployés autour de quelques couvens, de scènes qui sont d’un autre temps, qu’on croyait ne plus revoir. M. le ministre de l’intérieur s’est peut-être un peu hâté de voir dans tout cela de quoi rédiger des bulletins de victoire et de se laisser complimenter pour son habileté, sa fermeté et son énergie, — surtout pour le secret de ses manœuvres. C’est positivement prodigieux : ce pauvre M. de Persigny n’eût pas mieux fait !

Non, on ne réussira pas à rehausser cette triste campagne, dût-on invoquer des nécessités de défense et essayer de tirer parti de quelques manifestations compromettantes, après tout plus bruyantes, que dangereuses. On ne réussira pas à prouver qu’on était obligé de s’engager dans cette aventure, qu’on porte avec soi dans ce camp de guerre où l’on s’est établi les droits légitimes de l’état, l’honneur de la société civile, les principes libéraux, les destinées de la république. Ce qu’on