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mente, l’impôt sur les valeurs mobilières augmente. L’excédent pour les premiers mois de l’année dépasse de plus de soixante millions les prévisions budgétaires : preuve évidente que rien n’est interrompu dans la marche es affaires matérielles ! Oui, sans doute, la France ne travaille pas moins, elle ne consomme pas moins, elle ne porte pas moins ses contributions au trésor pendant qu’au-dessus d’elle passent les agitations inutiles ou dangereuses. C’était vrai il y a un an, c’est vrai encore aujourd’hui : ce contraste entre la réalité de la vie nationale et les déchaînemens factices des partis a été plus d’une fois remarqué même par des étrangers. Sait-on ce que cela prouve ? C’est que la masse du pays a gardé jusqu’ici une force de consistance par laquelle elle se défend et a pu réussir à rester elle-même sans se laisser trop sérieusement atteindre dans sa saine et active nature. Elle a vécu de son propre fonds, en un mot, elle vit sans trouble malgré tout, si bien qu’à cette heure même où l’on marche vers la session prochaine à travers toute sorte d’incidens équivoques et d’irritantes querelles, le calme invariable de cette masse nationale est encore la meilleure des garanties. Ce serait cependant une singulière illusion de croire que les désordres d’idées, en se prolongeant, soient sans péril, qu’un pays, si sage qu’il soit, puisse résister indéfiniment à ce régime de réhabilitations révolutionnaires, de diffamations violentes, de propagandes démoralisatrices, de pouvoirs insuffisans ou complices. Ce serait une étrange imprévoyance de se figurer que la sagesse et la confiance puissent être toujours en bas lorsqu’on haut il n’y a que trouble et confusion.

Certes s’il y a jamais eu un moment favorable pour en finir avec toutes les incohérences, pour créer un gouvernement sensé et libéral, assurant à la France cette paix intérieure qu’elle ne cesse de désirer, qui est dans ses intérêts comme dans ses instincts, c’est le moment où la république a été légalement fondée. Il n’y avait plus vraiment de difficulté pour l’instant. Les oppositions étaient vaincues et dominées par la puissance de manifestations publiques réitérées. S’il y avait dans les camps hostiles quelques-uns de ces chefs ou de ces groupes qui ne se réconcilient jamais, il y avait aussi dans tous les partis cette masse obscure et désintéressée toujours prête à accepter une situation régulière. Les circonstances mêmes, malheureuses pour le pays, pour tout le monde, semblaient faites pour rapprocher les opinions dans une œuvre de sérieuse et large transaction. Il n’y avait qu’à le vouloir ; mais il est bien clair que, chez ceux qui avaient à diriger cette sorte de mise en mouvement de la république, il fallait un grand esprit de modération et d’équité, le sentiment juste des conditions essentielles de gouvernement, l’intelligence des affaires, la résolution de tenir tête à tous les excès. Il fallait un certain nombre de qualités qui ne se rencontrent pas communément, nous en convenons, et, après tout, si ces qualités