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de leur personne, mais abdication entière, voudront bien se laisser guider, aveuglément, aux indications qui ne sont guère moins clairement écrites dans les alexandrins sonores de Corneille que dans les hexamètres harmonieux de Racine. Comédiens et comédiennes, qui prendrez le fardeau de ces grands rôles,

Ne veuillez pas vous perdre et vous êtes sauvés ;


c’est-à-dire ne cherchez pas dans le Rodrigue de Corneille ou dans l’Iphigénie de Racine le Rodrigue de la romance espagnole ou l’Iphigénie de la tragédie grecque : ils n’y sont pas. Mais surtout n’y cherchez pas ce que vous semblez aujourd’hui presque tous y chercher : quelque Iphigénie dont personne avant vous ne se fût avisé, quelque Rodrigue dont vous prétendriez nous apporter la révélation,

………. car je prétends
Qu’il vous faudra d’abord les y chercher longtemps.


et ensuite que vous ne les y trouverez pas. Il n’y a pas deux manières de comprendre un rôle de Corneille ou de Racine : il n’y en a qu’une. Il ne fait pas bon vouloir être plus cornélien que Corneille ou plus racinien que Racine : c’est quelquefois le tort des directeurs. Il ne fait pas bon non plus, comme nous le voyons à l’Odéon, se couvrir du nom de Corneille pour jouer obstinément les Agar, ou du nom de Racine, comme au Théâtre-Français, pour jouer obstinément les Mounet-Sully : c’est trop souvent le tort de nos acteurs.

Je conviens qu’il est plus difficile de poser les règles d’une bonne interprétation du répertoire comique en général et du répertoire de Molière en particulier. En voici la raison.

Faites une expérience et une expérience bien simple. Prenez, non pas même encore les chefs-d’œuvre de Molière, mais seulement le Légataire de Regnard, le Turcaret de Le Sage, le Barbier de Beaumarchais, et réduisez-les à ce qu’il en peut tenir dans l’anal)se de la fable essentielle. Vous serez étonné comme tous ces sujets, dans leur fond, sont tristes, répugnans et, tranchons le mot, douloureux. Transposez-les de la scène dans la vie réelle, ou plus simplement, et sans aller jusque-là, remettez à quelque homme de théâtre, de ceux qui n’ont pas cette merveilleuse faculté de tourner tout au rire, le soin de les traiter. Vous avez aussitôt des drames honteux ou terribles. Un misérable vieillard devenu la victime d’une bande d’héritiers et de domestiques avides jusqu’au crime ; un financier véreux devenu la proie d’une association de filles et de souteneurs ; un tuteur taré qui veut épouser sa pupille et qui n’en est empêché que par un enlèvement compliqué de bris de clôture,