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son futur gendre à la dignité de mamamouchi, ne m’a pas paru d’une drôlerie plus divertissante que n’est le bonhomme Argan endoctoré par son frère. Et si j’en juge par ce qui se dit autant que par ce qui s’écrit, je ne crois pas avoir été tout à fait seul, l’autre soir, à partager mon impression. Mais il n’importe, et telle quelle, la restitution a son prix certainement, et son charme. Lentement, doucement, comme du fond d’un rêve, dont l’ensemble décoratif, dont les costumes, dont la musique même du Florentin entretiennent l’illusion, c’est toute une société disparue, c’est tout un monde évanoui qui se lève, des couleurs effacées qui se ravivent, et tandis que l’attention, déroutée, distraite, indécise, va de la scène à la salle et de la salle à la scène, flotte en effleurant tout, et ne se fixe à rien, il passe dans l’esprit comme de vagues images du grand règne, de la cour de Chambord et de Saint-Germain, du plus majestueux des souverains, et du plus somptueux, du plus coûteux, du plus rare et du plus complet des divertissemens. Il n’est guère possible que nous nous fassions jamais un vrai plaisir d’aller voir jouer le Bourgeois gentilhomme ainsi restitué. La pièce elle-même, allégée de la mascarade étrange qui la termine, est un peu lente. Elle est, comme l’Avare, de ces deux ou trois chefs-d’œuvre que Molière n’a pas ou le temps de mettre au point. Seulement l’Avare est un peu plein, et le Bourgeois gentilhomme un peu vide. Quoi qu’il en soit, ce n’en est pas moins un spectacle exquis et qu’on est trop aise une fois en passant d’avoir vu, pour épiloguer davantage. Ajoutez qu’on ne saurait imaginer occasion meilleure de nous l’avoir présenté. La distribution est de presque tous points fort bonne. M. Thiron plus particulièrement, quoique peut-être il n’ait pas la voix pleine et profonde qu’on souhaiterait dans ce rôle de M. Jourdain, et M. Truffier, pour l’art très intelligent et très heureux avec lequel il a composé le rôle du maître à danser, méritent d’être signalés.

Maintenant, le grand intérêt de ces fêtes, ce sera que, pendant huit jours, on nous aura permis de juger de la vraie valeur de la troupe actuelle dans le répertoire comique. Car, pour le répertoire tragique, il faut avouer que Corneille avec Racine semblent n’avoir servi vraiment dans la circonstance qu’à rehausser la gloire de l’unique Molière. Horace avec le Menteur et les Plaideurs avec Britannicus, c’est peu, contre le Misanthrope, et Tartuffe, et l’Avare, et les Femmes savantes, et l’École des femmes, et le Bourgeois gentilhomme. Profitons du moins de cette bonne fortune pour dire doux mots de l’interprétation du répertoire comique.

Il est assez facile de poser en termes généraux les règles d’une bonne interprétation du répertoire tragique, ou plutôt toutes les règles ici se renferment dans un principe unique, et ce principe, c’est que l’acteur qui jouera Polyeucte ou l’actrice qui jouera Monime, faisant abdication