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formée de toute concurrence de la ville et des faubourgs, c’était encore, selon les termes propres de l’ordonnance, pour donner aux comédiens « les moyens de se perfectionner de plus en plus. » Le véritable fondateur de la Comédie-Française n’est donc pas plus Molière que Corneille, ou que Racine : c’est le roi. L’ancienne troupe du Palais-Royal apportait au fond désormais commun le répertoire entier de Molière[1], il est vrai, mais la troupe de l’Hôtel de Bourgogne apportait le répertoire presque entier de Racine, et c’était bien vraiment grâce à l’intervention de Louis XIV que la France gagnait le tout. Et comme le XVIIIe siècle a véritablement méconnu Molière, je ne serai démenti par personne qui soit un peu au courant de l’histoire du théâtre si j’avance qu’on ne sait trop ce qu’il serait advenu du répertoire et de la tradition des chefs-d’œuvre de Molière, si ce n’avait été pour une grande institution publique un devoir que d’y veiller.

Après cela, comme c’est toujours un rôle désagréable à soutenir que celui de trouble-fête, nous conviendrons volontiers que la Comédie-Française a fêté magnifiquement l’anniversaire de sa fondation. On connaît le goût de M. Perrin pour les splendeurs de la mise en scène, son amour du détail exact, sa recherche de l’archaïsme. Il s’est trouvé dans cette circonstance qu’il pouvait se donner carrière, et je ne pense pas que personne lui dispute l’honneur d’avoir complètement réussi. Louons donc la reprise de l’Impromptu de Versailles. Louons la reprise du Bourgeois gentilhomme. Louons la musique de Lulli. Louons enfin tout ce qui se peut louer, jusqu’à l’éclat des ors et jusqu’à la rare habileté des costumiers du Théâtre-Français. En effet, il ne s’agissait plus cette semaine, comme en temps ordinaire, de nous présenter Molière par les côtés éternellement humains de sa comédie, mais bien de replacer pour une fois cette comédie dans son cadre du XVIIe siècle, et de nous la remettre aux yeux dans la fraîcheur, pour ainsi dire, de sa première nouveauté.

Assurément, ce n’est pas une épreuve à tenter souvent. Ces intermèdes, ces entrées de ballet, « quatre garçons tailleurs » ou « six cuisiniers dansant ensemble, » ces cérémonies burlesques poussées jusqu’à la plus violente caricature, tout cela, qui divertissait évidemment les contemporains de Molière, nous fatigue aujourd’hui, disons-le franchement, plus qu’il ne nous amuse ou ne nous intéresse. Pour ma pari, j’ai toujours trouvé la cérémonie du Malade imaginaire, — demeurée, comme on sait, au répertoire, pour quelques grandes occasions, — interminablement longue et très médiocrement comique. M. Jourdain, élevé par

  1. Encore est-il bon d’ajouter que, — le Malade imaginaire excepté, — la troupe de l’Hôtel de Bourgogne jouait aussi souvent qu’il lui plaisait tout le répertoire de Molière.