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impératrice d’Allemagne, et dont l’esprit distingué et généreux se préoccupe des questions sociales, avait rapporté une impression assez vive du séjour qu’elle fit à Paris pendant l’exposition de 1867. Elle avait constaté que les femmes utiles, si on s’en tient au sens économique du mot, y sont bien plus nombreuses et bien plus méritantes qu’ailleurs, et la comparaison qu’elle faisait à cet égard entre les Françaises et les Allemandes était à l’avantage des premières. Aurons-nous avant peu des femmes médecins pour nous tâter le pouls, des femmes avocats, qui comme Mme Gordon à San-Franeisco, plaideront en robe de soie noire, une rose à leur corsage ? Les uns disent oui, les autres se récrient avec un étonnement mêlé de scandale et jurent leurs grands dieux qu’ils ne le souffriront jamais ; mais leurs exclamations ne prouvent rien. C’est l’éternelle histoire du premier qui vit un chameau ou un Persan. Est-il possible d’être Persan ? Comment s’y prend-on pour être chameau ? Cela n’empêche pas qu’il n’y ait dans ce monde et des Persans et des chameaux, et qu’ils ne trouvent fort naturel d’y être. Le rire finit toujours par faire justice de l’absurde, il n’a jamais raison de la raison.

Ce qui nous paraît sûr, c’est que les femmes médecins et les femmes avocats, quand leur jour sera venu, ne seront qu’une exception, et ce qui est encore plus sûr, c’est que la société aura beau déférer aux vœux de certaines femmes et user à leur égard d’une complaisance infinie, elle ne parviendra jamais à les contenter. Celle-ci ne peut se consoler de n’être pas belle ou de ne l’être plus ; celle-là se croit du talent et n’en a point ; une troisième n’a trouvé au bout d’une carrière d’aventures que le vide ou les lassitudes de l’âme et l’obsession d’un pesant ennui, implacable comme une vengeance. Telle autre rêvait en se mariant d’être bientôt ou veuve ou séparée ; la nature et les tribunaux lui ont refusé cette grâce. Telle autre a voulu qu’on parlât d’elle, on en parle beaucoup, et elle a découvert un peu tard que le bruit ne remplace pas la considération. Telle autre encore a mangé du fruit défendu à pleines dents, parce que le serpent lui avait dit : « Manges-en, et tu deviendras semblable à un homme : eritis sicut viri. » Elle commence à s’apercevoir que le serpent s’est moqué d’elle, et de grand cœur elle écraserait la tête du maudit sous son talon. Toutes sans exception s’en prennent à la société, qui franchement n’est pas responsable et ne pense pas leur devoir des dommages et intérêts. Dans sa brochure, M. Dumas adresse de salutaires avis à ces infortunées ; il leur a consacré quelques pages vraiment admirables, qu’elles feront bien de méditer. Il leur représente que la misère et la maladie mises à part, les malheurs dont nous nous plaignons ne sont que des bonheurs qui n’ont pas voulu se laisser faire, que l’homme ainsi que la femme veut le plaisir, la fortune, l’amour, la gloire, et que la gloire, l’amour, la fortune, le plaisir le trompent, qu’alors il s’indigne contre sa