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Les exagérations nuisent aux meilleures causes ; gardons-nous de croire ou de faire semblant de croire que l’enseignement secondaire des jeunes filles soit une recette miraculeuse, un remède à tous les maux, une panacée. C’est assez des avantages sérieux que le bon sens nous permet d’en attendre. Tout régime social, toute institution politique a ses inconvéniens et ses défauts. La démocratie a les siens, auxquels il importe de parer, et les femmes seules peuvent les corriger, les femmes seules peuvent contenir ses fâcheux entraînemens, travailler avec succès à ennoblir ses mœurs. Dans une société où règne la loi nécessaire, mais brutale du nombre, il est bon qu’elles soient nanties de ce droit de veto qu’elles savent si bien exercer. Au moyen âge, le culte passionné qu’elles inspiraient enfanta la chevalerie, et la chevalerie fut une institution précieuse qui tempéra dans une certaine mesure les abus de la force et la brutalité des puissans. La démocratie, qui de sa nature est peu chevaleresque, a besoin qu’on lui prêche sans cesse la miséricorde à l’endroit des faibles, le respect des minorités et qu’on lui donne le goût des pensées généreuses. C’est l’affaire des femmes, et il est à désirer qu’aujourd’hui surtout, elles ne soient pas réduites au métier d’odalisques ou de ménagères ou de servantes, qu’elles aient une part considérable dans l’éducation des enfans, que dans la famille et hors de la famille elles jouissent d’une autorité croissante ; or l’ignorance n’en a point, et c’est là un motif suffisant pour qu’on s’occupe toujours plus de les instruire. Tocqueville louait encore les Américains d’avoir travaillé de tout leur pouvoir à élever l’intelligence de la femme au niveau de celle de l’homme et d’avoir en cela compris admirablement la véritable notion du progrès démocratique. — « Pour moi, ajoutait-il, je n’hésiterai pas à le dire, quoiqu’aux États-Unis la femme ne sorte guère du cercle domestique et qu’elle y soit à certains égards fort dépendante, nulle part sa position ne m’a semblé si haute, et si on me demandait à quoi je pense qu’il faille principalement attribuer la prospérité singulière et la force croissante de ce peuple, je répondrais que c’est à la supériorité de ses femmes. »

Les écoles secondaires suffisent aux femmes qui rêvent la maternité, elles ne suffisent pas à celles qui aspirent à la liberté. Ces dernières ne seront jamais les plus nombreuses, la nature et les hommes y pourvoiront ; mais quel que soit leur nombre, il convient de compter avec elles, et d’ailleurs il se pourrait faire que d’année en année il y en eût davantage. Les grands moralistes qui ne voient pour elles point de salut et point de destinée hors du mariage devraient se charger de les marier toutes à leur convenance. Quelques-unes ne trouvent pas de mari, d’autres n’agréent pas ceux qui se présentent, d’autres encore, par indépendance d’humeur ou par ambition d’esprit, préfèrent au mariage la joie de se faire une situation sans le secours des hommes et