Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

époques que les géologues reconnaissent dans la formation de la terre, seraient fatalement condamnées à l’impiété. Nous disions que des grâces qui sont à la merci d’un peu de physique ne-valent pas qu’on les regrette ; une foi qui ne peut résister à un peu de chimie ou de géologie ne mérite pas qu’on en mène grand deuil. Au surplus, il est possible que l’étude des sciences inspire aux jeunes filles quelque défiance ou quelque dégoût à l’endroit de certaines légendes puériles, de certaines dévotions écœurantes : où serait le mal ? Quand on débarrasserait le jardin du Seigneur de ses parasites, de son gui, de sa cuscute, de ses orties, de ses orobanches, de ses cryptogames vénéneux, le maître de l’enclos ne serait pas le dernier à se réjouir de ce bienfaisant carnage. Si l’on parvient à nous démontrer qu’une foi inepte à d’absurdes miracles de récente invention est une garantie pour la morale, pour la conduite de la vie, pour la santé de l’âme, nous consentons à partir de notre meilleur pas pour l’aller dire à Lourdes.

Nous nous sentons d’autant plus libres d’approuver hautement l’institution des collèges féminins et de former des vœux pour leur prospérité que nous ne fondons pas sur leur succès des espérances exagérées ou chimériques. Les enthousiastes s’en promettent des résultats prodigieux. Ils affirment que quand les deux sexes recevront à peu près la même éducation, la conformité de leurs esprits produira l’accord de leurs humeurs, de leurs opinions et de leurs volontés, que les nations et les familles ne seront plus en proie aux zizanies intestines, que la paix et l’harmonie y seront assurées, que le règne d’Astrée commencera. C’est aller un peu loin et un peu vite, et il faut se défier des prophètes. Un savant s’accommode mieux d’une ignorante qu’un imbécile d’une femme d’esprit, et quand ils auraient tous les deux mordu à la botanique, il n’est pas prouvé que parce qu’ils sauront l’un et l’autre distinguer une labiée d’une rosacée, leur entente sera plus cordiale et leur félicité conjugale plus certaine. On raconte qu’un docteur allemand rencontra, dans une ville d’eaux, une jeune et charmante miss, dont il tomba amoureux. Aucun d’eux ne sachant la langue de l’autre, ils ne se comprenaient point et ne laissaient pas de s’entendre à merveille. On se maria. Animée d’un beau zèle, la jeune femme se mit, toute affaire cessante, à étudier l’allemand ; elle, y fit des progrès rapides, elle arriva bientôt à le parler aussi couramment que l’anglais. Mais de ce jour, hélas ! on ne s’entendit plus, la paix du ménage fut à jamais compromise[1]. La moralité de cette aventure est que les maris et les femmes, comme les peuples et les rois, ne s’accordent quelquefois qu’à la condition de se taire ; il suffit d’un mot malencontreux pour tout gâter.

  1. Das Weib, philosophische Briefe, von Emerich du Mont ; Leipzig, 1880.