Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’indépendance des caractères et difficile de contenir les goûts, que la jeunesse y est hâtive, la coutume changeante, l’opinion publique souvent incertaine ou impuissante, l’autorité paternelle faible et le pouvoir marital contesté. Il les louait d’avoir jugé que, dans un tel état de choses, il y a peu de chances de pouvoir contraindre les passions de la femme, qu’il vaut mieux l’habituer à les combattre elle-même. — « Les Américains, disait-il, ont mieux aimé garantir son honnêteté que de trop respecter son innocence. Quoiqu’ils soient un peuple fort religieux, ils ne s’en sont pas rapportés à la religion seule du soin de défendre sa vertu, ils ont cherché à armer de bonne heure sa raison. » — Nous ne savons si on enseignera la botanique au collège Sévigné, nous y verrions peu d’inconvéniens et beaucoup d’avantages. Mais si on y apprend aux jeunes filles à entendre parler librement de beaucoup de choses sans que leur imagination s’émeuve ou s’effarouche, si on s’applique à les rendre raisonnables sans en faire des raisonneuses, si on les émancipe de tous les préjugés inutiles sans les délivrer d’un seul scrupule utile, tout le monde s’en trouvera bien, à commencer par les maris qui les épouseront. Et puisqu’il a été décidé que le collège Sévigné n’aurait pas d’internat puissent quelques-unes des externes ! qui le fréquenteront s’accoutumer, non certes à se passer de chaperon pour parcourir des centaines de lieues comme beaucoup d’Américaines, mais tout bonnement à traverser seules îe jardin du Luxembourg sans penser au loup et sans que le loup pense à elles ! Ce serait un progrès heureux dans nos mœurs, et la conquête d’une liberté si honnête et si nécessaire nous consolerait amplement de la perte décent Agnès. Dût même cette race disparaître entièrement, nous en serions encore consolés.

— Prenez-y garde, poursuivent les faiseurs d’objections. Ce n’est pas seulement l’innocence des jeunes filles que met en péril l’étude des sciences physiques et naturelles, c’est leur religion, c’est leur foi. Voulez-vous en faire des esprits forts ? Les libres penseurs sont un peuple désagréable, les libres penseuses sont une engeance qui ne se peut supporter. — Nous ne voulons pas prendre ici la défense de toutes les libres penseuses ; il en est que le sage redoute, il en est même qu’il évite. Mais nous espérons bien que, dans les collèges féminins qui se fondent comme dans ceux qui se fonderont plus tard, là conscience sera respectée, qu’il ne s’y fera aucune propagande d’aucun genre. Autrement quelle raison aurait-on de blâmer celle qui se fait dans les couvens ? Contraindre à croire ou à ne pas croire, l’un vaut l’autre, et quand vous vous servez de votre autorité pour imposer votre foi ou votre mécréance à de jeunes esprits qui ne sont pas armés pour la discussion, c’est bien de contrainte que vous usez. Mais, en vérité, nous ne voyons pas pourquoi des femmes qui sauront ce que c’est que le protoxyde d’azote, auxquelles on aura expliqué la loi de la gravitation ou les principales