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Cette anomalie blesse d’autant plus les femmes que, dans les pays qui ne connaissent pas la loi salique, on les admet à remplir la plus haute et la plus difficile des fonctions, on les autorise à régner. Si elles avaient pour la plupart quelque chance sérieuse de devenir reines, il est probable qu’elles prendraient leur mal en patience ; on se console de bien des misères par l’espérance de gagner un jour le gros lot. Malheureusement le nombre de celles qui peuvent se flatter de régner un jour est fort restreint, et encore est-ce un métier qui se gâte, qui devient d’année en année plus hasardeux, plus précaire. La plupart des femmes mécontentes, mais raisonnables, n’envient point le sort de la reine Victoria, elles ne rêvent pas de devenir impératrices des Indes ; elles se contentent d’exhorter la société à accroître un peu la somme de liberté dont elles jouissent, elles demandent qu’on les aide à émanciper leur intelligence et qu’on leur ouvre certaines carrières que s’est réservées jusqu’ici l’injuste avarice des hommes. — D’autres moins raisonnables, mais beaucoup plus bruyantes, demandent davantage. Elles réclament des droits politiques, elles prétendent devenir électeurs et même éligibles, siéger dans les jurys et dans les tribunaux, et ne payer l’impôt qu’après l’avoir discuté et voté. Quelques-unes aspirent par surcroît aux premières charges de l’état, et comme la Praxagora d’Aristophane, elles s’écrient : « Nous seules pouvons sauver le vaisseau de la république, qui ne navigue pour le moment ni à la voile ni à la rame. Mais, quoiqu’elles soient excellentes, je crains que les hommes aveuglés par leurs sots préjugés ne goûtent peu nos inventions. »

Dans un récent et curieux opuscule, où tes vues d’un observateur sagace, pénétrant, de la vie humaine sont mêlées aux paradoxes d’un homme d’esprit qui s’amuse, nous lisons « qu’il n’y a pour la femme, au milieu de ses transformations naturelles et sociales, que deux états bien différens l’un de l’autre auxquels elle aspire véritablement, qu’elle comprenne bien et dont elle jouisse pleinement : c’est l’état de maternité ou l’état de liberté. Lai virginité, l’amour et le mariage sont pour elle des états passagers, intermédiaires, sans données précises, n’ayant qu’une valeur d’attente et de préparation[1]. » Un illustre prélat, mort depuis, en présence duquel M. Dumas soutenait cette thèse, dont il est difficile de contester la justesse, lui répondit : « Il y a du vrai dans ce que vous me dites. J’ai pu constater que sur cent jeunes filles dont j’avais fait l’éducation religieuse et qui se mariaient, il y en avait au moins quatre-vingts qui, en revenant me voir après un mois de mariage » me disaient qu’elles regrettaient de s’être mariées. — Cela tient,

  1. Les Femmes qui tuent et les Femmes qui votent, par Alexandre Dumas fils ; Paris, Calmann Levy.