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mort. Ainsi le nom d’Alexis de Tocqueville, de ce grand esprit généralisateur, est maintenant invoqué journellement par les docteurs de cette même école démocratique qui, au lendemain de la révolution de 1848 et sous le second empire, faisait si peu de cas de ses sages avis, et plus d’un sincère républicain regrette sans doute aujourd’hui de n’avoir pas toujours marché d’accord avec lui. Sans établir aucune comparaison, nous serions étonnés si les citations qu’on va lire ne donnaient pas à réfléchir aux esprits préoccupés, comme Lanfrey le fut toujours lui-même, de l’avenir du régime républicain, objet jusqu’à la fin de sa vie de ses constantes préférences. Ce ne sont point ses électeurs des Bouches-du-Rhône, ce sont les amis de sa jeunesse, des habitans de la Savoie, dont en politique il n’avait rien à attendre, ou des femmes du monde, qui reçoivent ses confidences intimes, dont le ton familier confirme encore la parfaite spontanéité.

Évidemment, il n’a pas reçu une très bonne impression lors des jours premiers de son arrivée à Bordeaux.


… D’après ce que j’ai pu voir, la majorité de cette assemblée est honnête, mais tellement divisée, agitée et nerveuse, qu’elle en perd la tête à chaque instant. C’est une véritable tour de Babel. (21 février 1871.)


… Mon élection n’est pas encore validée, et je ne pourrai prendre part ni au vote, ni à la discussion de demain, à laquelle j’attache une énorme importance. (Le vote sur le traité de paix.) On ajourne tous les élus des Bouches-du-Rhône (où je n’ai jamais mis les pieds et où je ne connais pas un seul chat), sous prétexte que le préfet Gent a manœuvré indignement contre une partie des élus dont je suis. C’est de la besogne française, ou je ne m’y connais pas. D’ailleurs je suis peu fier de ce que je vois ici : une majorité honnête mais horriblement divisée, une minorité de charlatans qui ne voient dans tous ces malheurs qu’une occasion de battre la grosse caisse au profit de leur popularité, et un prétexte à effets oratoires. C’est répugnant. Nous avons dans l’assemblée beaucoup d’hommes qui ont bravement payé de leur personne et verse leur sang pour leur pays. — Tous sont pour la paix. Il y en a d’autres qui sont restés tranquillement chez eux, ou qui ont pris des places et du ventre : ceux-là sont pour la guerre à outrance. Fût-il jamais dérision plus accablante ! Nous n’en aurons pas moins la paix. Mais c’est triste d’appartenir à un pays en pourriture ! .. Vous avez bien deviné au sujet de mon échec en Savoie. Ces braves gens ont l’habitude de voter avec leurs fonctionnaires. Le gouvernement leur en avait donné de nouveaux. Ils ont passé du blanc au rouge, sans même s’en apercevoir.