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revenait : Oui, cela devrait être, mais nous n’avons pas autorité pour imiter ce dont vous nous vantez l’utilité. Aussi ne saurait-on s’étonner que le congrès, en se séparant, ait voté à l’unanimité la conclusion suivante : « La subordination de la chirurgie militaire à une autre autorité que celle des médecins en chef, ainsi que l’existence de services parallèles ne relevant pas des médecins militaires en chef, sont incompatibles avec une bonne organisation des services médicaux et avec la protection que l’état doit aux soldats malades et blessés. Par conséquent, la direction du service médical militaire doit, comme cela existe dans presque toutes les armées modernes, appartenir exclusivement au médecin en chef de l’armée sous la haute autorité du commandement. »

Ce n’est pas tout encore. Le blessé tombé sur le champ de bataille perd momentanément sa nationalité. Pour l’ennemi qui le recueille ce n’est pas un prisonnier, c’est un malheureux qu’il faut secourir, et ceux qui, tout à l’heure, combattaient l’un contre l’autre, se retrouvent côte à côte unis par la douleur sur le grabat de l’ambulance. La bonne organisation de la médecine militaire d’une armée intéresse donc toutes les armées avec lesquelles elle peut se trouver en présence. C’est ce qui autorisait un de nos collègues, appartenant à un pays ami, de dire au congrès de 1878 : « Un état qui néglige son service médical militaire affaiblit par là, non-seulement sa propre défense, mais fait preuve en même temps d’un manque de civilisation et d’humanité qui l’avilit aux yeux de ses voisins. » Cette parole vraie dans sa dureté était dite d’une manière générale, mais la rougeur nous monte au front quand nous songeons que ce n’est plus qu’à la France qu’elle peut s’appliquer aujourd’hui. Puissent nos législateurs, avant de se séparer, accomplir une réforme décrétée il y a trente-deux ans en France, mais que l’étranger seul a su accomplir ! Qu’ils aient enfin pitié de nos malades et de nos blessés : il s’agit de l’armée, il s’agit de la France ! Aujourd’hui que tout le monde est soldat, il n’est pas une famille française qui ne soit directement intéressée à voir cesser un état de choses qui s’est constamment traduit par la mort de milliers de victimes. Combien de nos soldats malades ou blessés, pendant la paix comme sur les champs de bataille, ont succombé dans les hôpitaux ou dans les ambulances, alors qu’ils auraient pu revoir leur famille et leur foyer, si le dévoûment et le savoir de nos médecins militaires n’avaient pas été rendus impuissans par une organisation déplorable qu’on ne saurait plus longtemps conserver !


LEON LE FORT.