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de Marseille laissent percer, avec la joie bien naturelle du triomphe, la satisfaction plus vive encore de se sentir si parfaitement maître de suivre sans entrave d’aucune sorte sa propre ligue politique.


… Je suis fier d’être le représentant de votre grande et généreuse cité, qui dans tous les temps a servi d’initiatrice et de patrie adoptive à tant de citoyens illustres. Elle se plaît à aller, pour ainsi dire, les prendre par la main au sein de l’obscurité, de l’inaction ou de l’oubli où les laisse végéter l’indifférence de leurs concitoyens pour les pousser dans la carrière où ils auront à soutenir les grands combats de la vie politique. Si je ne deviens pas semblable à eux, je vous devrai du moins la consolation d’avoir de loin suivi leurs traces et le privilège envié de pouvoir invoquer le même patronage. Je suis d’autant plus heureux d’avoir obtenu vos suffrages que je n’avais parmi vous aucun ami personnel, et que je dois en rapporter tout l’honneur à la puissance des idées, à notre commun dévoûment envers une juste cause, c’est-à-dire au lien le plus noble qui puisse unir les hommes. Si j’interprète bien votre pensée, vous avez nommé en moi l’ennemi invariable de tous les genres de despotismes, l’homme qui n’a jamais voulu séparer la cause de la démocratie de cette de la liberté.


En prenant solennellement vis à vis des électeurs des Bouches-du-Rhône, mais surtout avec lui-même, cet unique engagement maintenu avec tant de scrupule jusqu’au jour de sa mort, Lanfrey se vouait, par avance, et plus qu’il ne s’en doutait peut-être alors, à l’isolement en politique, mais cette perspective, après tout, ne l’effrayait pas. Il avait toujours fait cas des isolés, en quoi je ne saurais trouver qu’il eût tort, car ce n’est pas signe de médiocrité que de ne pas craindre la solitude de l’indépendance. Assurer, presque à tout prix, le triomphe de ses opinions dans ce qu’elles ont de plus exclusif, voilà, au sein des assemblées publiques, le but principal de chaque parti. Ceux qui tiennent à honneur d’obéir à de. plus nobles aspirations n’ont guère chance d’être écoutés et suivis ; c’est leur lot de déplaire, car d’ordinaire ils sont d’humeur chagrine, et naturellement enclins à critiquer les hommes avec lesquels ils vivent et les choses dont ils sont témoins. Leur idéal trop haut placé n’a point prise sur la multitude, dont ils se reprocheraient de flatter les passions et qu’ils blessent en ne voulant pas prendre au sérieux les mobiles impressions suscitées chez elle par les petits incidens de chaque jour. Dans de telles conditions comment exerceraient-ils beaucoup d’influence ? Ce sont gens de bon conseil, sans action directe sur la marche des événemens. Cependant cette autorité qui leur a manqué de leur vivant, il n’est pas rare qu’ils l’acquièrent après leur