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devenir ? Quand l’Europe sera convaincue que nous ne sommes pas si faibles d’esprit qu’elle l’imaginait et que nous n’avons pas besoin de ses leçons sur la voie de notre développement, elle mettra vite un frein à ses emportemens. En outre, il faudrait sérieusement étudier ce qui aujourd’hui est le principal souci de tout gouvernement, l’art de se mettre en rapport (obrochtchatsa) avec l’opinion publique. Une bonne part de cette tâche retombe sur vous, ministre de l’instruction publique ! ..  »

Nicolas Alexéièvitch avait raison, il sentait ce que trop peu de ses compatriotes comprennent encore aujourd’hui, c’est que l’hostilité tour à tour sourde et déclarée de l’Occident pour Saint-Pétersbourg et Moscou tient en grande partie au régime absolutiste de la Russie. Ainsi s’explique comment l’Europe se montre presque aussi défiante des Russes lorsqu’ils se présentent en émancipateurs des Slaves du Sud, que lorsqu’ils apparaissent comme oppresseurs de la Pologne. Milutine a parfaitement compris les causes de cette vague et persistante antipathie, qui ne prendra fin qu’avec une nouvelle et définitive évolution libérale aux bords de la Neva.


N. Milutine au général ***,


« Paris, 23 avril 1863.

«… Je passe maintenant au plus essentiel en te prévenant que j’ai pour cela les encouragemens et les pleins pouvoirs du baron Budberg[1], avec lequel nous sommes dans les rapports les plus amicaux. Le même courrier vous apporte son rapport officiel sur l’impression faite ici par les notes du prince Gortchakof. Le fait est que l’impression produite par ces notes, quoique en apparence favorable, ne pouvait guère au fond modifier la face des choses et les rapports mutuels des puissances. L’amour-propre de Napoléon peut être flatté de leur extrême amabilité de formes ; mais notre diplomatie se trompe étrangement si elle s’imagine par ces formes aimables faire oublier à la France le fond de l’affaire. Il est encore plus étrange d’attendre quelques résultats sérieux de ces cordiaux épanchemens[2] ; et quel autre nom donner aux notes diplomatiques destinées à Napoléon ? Lui demander quel est son but, quelles sont ses intentions et ses arrière-pensées, c’est par

  1. Successeur du comte Kisselef à l’ambassade de Russie auprès de la cour des Tuileries.
  2. Serdetchnikh. izliianii.