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dire cependant que, si l’on veut me confier, durant mon séjour ici, un ouvrage quelconque, je l’accepterai avec une profonde reconnaissance et je lui consacrerai tout ce que j’ai de force et d’intelligence.

« En outre, si les circonstances l’exigent, je suis prêt à rentrer au service à Saint-Pétersbourg quand et comme il plaira à l’empereur.

« Voilà, très honoré A. V., la réponse que je vous prie déporter à la connaissance de Sa Majesté. Tout mon désir est de me conformer strictement à la volonté de l’empereur. ». »

Ici se place un incident sans importance et pour nous aussi caractéristique que bizarre. Les offres d’emplois poursuivaient Milutine à Paris et variaient avec les mois de la façon la plus singulière. A cet esprit si énergique et tout d’action, à cet homme qui avait été l’âme d’une colossale réforme, à qui les ministres demandaient des projets pour les lois les plus importantes et auquel on avait pensé l’année précédente pour deux des ministères les plus difficiles dans les circonstances d’alors, celui de l’intérieur et celui de l’instruction publique, — on ne saurait imaginer quelle place l’on proposa tout d’un coup à quelques mois de distance. Après l’avoir fait venir précipitamment de Paris à Saint-Pétersbourg en avril 1862, pour lui confier, avec l’administration de la Pologne, le poste le plus difficile et le plus périlleux de l’empire, on lui offre à moins d’un an de distance, en avril 1863, une place de tout repos, une sorte de sinécure littéraire entièrement étrangère à la législation et à la politique, la direction de la Bibliothèque impériale. Si l’on n’était en Russie, où rien n’étonne, on se dirait qu’après avoir en vain essayé de le compromettre ou de le perdre en le jetant dans la fournaise des affaires de Pologne, ses rivaux de Saint-Pétersbourg tentaient de le faire oublier et de l’annihiler en l’enfermant dans les riches salles de la Bibliothèque. Rien n’autorise cependant à supposer d’aussi perfides intentions aux inspirateurs de ce bizarre projet. La proposition lui en était faite par un homme connu comme son ami, et qui naguère encore lui demandait des projets pour les plus graves réformes, par le ministre de l’instruction publique, qui l’engageait quelques mois auparavant à ne pas refuser la direction des affaires polonaises. Ayant dans son ressort une place libre, stable, bien rentée et convoitée de plusieurs, le ministre avait cru sans doute ne pouvoir mieux faire que de l’offrir à son ancien collègue du comité de rédaction, alors sans place comme sans fortune.

La réponse de Milutine dont quelques personnes avaient. parlé pour le ministère même de l’instruction publique[1], est bien

  1. On le voit par une lettre de la grande-duchesse Hélène.