Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce gouvernement de charlatans, la crédulité aveugle qui accepte partout les mensonges, m’ont fait par deux fois reprendre la plume, et j’ai parlé, je puis le dire, bien malgré moi, car j’avais la certitude de compromettre gravement le succès de ma candidature, qui était alors infaillible. J’ai naturellement été puni de ce bon mouvement par un torrent d’injures et d’accusations dont dl est difficile de vous donner l’idée. Ceux qui m’avaient le plus exalté ont crié à la trahison. J’ai été appelé : souteneur de Bonaparte, clérical, vendu aux d’Orléans, etc., et mon uniforme même de volontaire ne m’a pas protégé contre l’accusation d’avoir fui de Paris à l’approche des Prussiens. Enfin mon succès a été aussi complet que je pouvais le supposer. Je vous envoie les deux articles qui ont donné lieu à ce concert d’aboiemens qui n’a pas encore cessé. Je dois ajouter toutefois que les sympathies des hommes éclairés ont un peu compensé ces petits désagrémens. Un incident inattendu est venu en outre jeter quelque déconvenue au milieu de la meute qui me mordait les mollets. Des journaux de Bordeaux et des journaux anglais. avaient reproduit mes articles ; Gambetta les a lus, et à la suite de cette lecture, le préfet de Chambéry est venu chez moi avec une lettre m’offrant la préfecture du Nord au milieu d’un bouquet de complimens exagérés. Je l’ai reçu de la bonne manière, c’est-à-dire en l’envoyant promener, lui et sa préfecture, déclarant vouloir m’en tenir à mon fusil de volontaire et ne voir de moyen de salut que dans un appel au pays. Vous pensez que je. n’ai pas laissé ignorer cette circonstance, qui prouvait assez clairement que, si j’étais, en effet un homme vendu, je n’étais pas du moins un homme à revendre.

Maintenant je pars demain pour le camp de Sathonay avec ma brigade… Vous allez voir le terrible Ferocino révéler sous un jour nouveau ses talens pour la guerre. D’ici à peu, les Prussiens apprendront aussi à les apprécier.

Notre pauvre Paris est, je le crains, aux dernières extrémités… Le gouvernement me semble avoir commis une grande faute en n’acceptant pas l’armistice, même sans ravitaillement, puisqu’il pouvait tenir si longtemps.


Ce fut au camp de Sathonay, près de Lyon, que Lanfrey apprit la cessation des hostilités et la convocation des collèges qui devaient nommer les membres de la future assemblée constituante. Il avait été porté sur la liste de l’union libérale, et ses amis du parti républicain modéré l’engagèrent instamment à venir de sa personne à Chambéry afin de rendre meilleures ses chances électorales. Il n’en voulut rien faire. Des démarches de cette nature lui auraient répugné en toutes circonstances. En thèse générale, son puritanisme les jugeait peu conformes à la dignité du candidat, qui devait