Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 42.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savoir s’en tenir à une voie droite et ferme. Aux longues indécisions succédaient tout à coup de soudaines résolutions que rien ne faisait prévoir la veille et qu’expliquaient seules les incertitudes du pouvoir, jointes aux impérieuses exigences des événemens. La place de Milutine semblait marquée à Saint-Pétersbourg à la tête d’un des ministères chargés des réformes intérieures, il apprit tout à coup qu’on songeait à le jeter à Varsovie, à la tête de l’administration du royaume de Pologne. Une lettre de M. G.., ministre de l’instruction publique, l’informant de cette décision à laquelle rien ne l’avait préparé, accompagnait l’ordre d’un subit et immédiat retour à Saint-Pétersbourg. Le ton même de la lettre du ministre, si louangeur et encourageant qu’il fût, semblait trahir l’embarras de l’ami qui s’était chargé d’expliquer à Nicolas Alexèiévitch ce brusque rappel.


Lettre de M. G., ministre de l’instruction publique.


« Saint-Pétersbourg, 20 avril 1862.

« Très honoré Nicolas Alexèiévitch,

« Vous allez en même temps que cette lettre recevoir communication par D. A. d’un ordre de Sa Majesté, vous enjoignant de revenir immédiatement à Saint-Pétersbourg, pour répondre personnellement à l’empereur qui se propose de vous nommer chef de l’administration civile de la Pologne, c’est-à-dire président du conseil administratif des ministres du royaume. J’en ai longtemps parlé avec Dmitrî Alexèiévitch et je lui ai promis de vous dire sincèrement toute ma pensée sur ce sujet important pour la Russie, pour la Pologne, pour l’empereur et pour vous-même. Je suis convaincu que l’idée de cette nomination appartient au souverain personnellement et c’est pour cela qu’il la poursuit avec insistance, y revenant à peu d’intervalle, en dépit de l’opposition de Dmitri Alexèiévitch. Valouief seul aurait pu lui suggérer cette idée, mais l’empereur se méfie de lui précisément dans les affaires polonaises, par suite, semble-t-il, de la trop grande condescendance de Valouief pour Wielopolski. Cette idée atteste du reste la grande confiance de l’empereur en vous, c’est-à-dire sa foi en votre intelligence, vos talens et votre dévoûment.

« Le poste qu’on vous propose est incomparablement plus difficile que tous les nôtres ; mais j’ai une si haute opinion de la libéralité avec laquelle la nature vous a doué, que je suis pleinement convaincu que vous pourrez mieux que personne réussir dans une tâche presque impossible pour tout autre. Vous vous rendrez