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de revenir, je n’abuserais certainement pas d’un congé illimité. Quant à partir en ce moment pour la Russie, comme vous le suggérez dans votre dernière lettre, ni ma santé ni mes affaires, de famille ne me le permettent…………..

«… Et d’ailleurs, qu’est-ce qui m’attend aujourd’hui à Pétersbourg ? Tout cela est encore trop peu éclairci. Y a-t-il si longtemps que ma participation aux affaires était considérée comme superflue, comme nuisible même ? Selon ma profonde conviction, mon concours serait en tous cas inutile, si l’on n’a pas confiance en moi et si cette confiance, au lieu d’être arrachée par des prières, n’est pas donnée spontanément, motu proprio.

« Ceci m’amène au projet de me nommer membre du grand comité[1]. L’initiative du grand-duc m’a profondément touché. Ma reconnaissance n’est pas seulement officielle ; ne manquez pas de la lui exprimer avec la sincérité avec laquelle je vous écris. Mais je ne saurais à cet égard laisser oublier ce que je vous ai dit à vous personnellement. Être membre de ce comité sans être en même temps, comme tous les autres, membre du conseil de l’empire, me mettrait dans une position exceptionnelle, non-seulement blessante pour l’amour-propre, mais, peu efficace pour la marche des affaires. Quelle pourrait être l’influence d’un membre placé dans une situation aussi équivoque ? — En cela n’a-t-il pas déjà été mon lot, il y a peu de temps encore, dans mon noviciat d’adjoint du ministre, après lequel on ne m’a pas jugé digne de confiance[2] ? Au reste, j’écris tout cela pour votre édification. L’important pour moi serait de passer dans le ressort du grand-duc, d’être affranchi du servage sénatorial pour passer dans la catégorie des sénateurs temporairement obligés[3] Dans ma lettre officielle, je demande qu’on me

  1. Glavny Komitet, pour les vingt millions de paysans de la couronne, ainsi qu’il est dit plus haut.
  2. Dans un brouillon de cette lettre, Milutine était encore plus explicite. On y rencontre la variante suivante : «  Je ne puis vous cacher que revenir de nouveau à une position équivoque me semble peu séduisant. Vous savez que je ne me suis jamais plaint de l’humiliation qu’on m’a fait subir pendant deux ans dans des fonctions temporaires, pour lesquelles ensuite on m’a jugé indigne. Mais ce traitement étrange ne pouvait manquer de me laisser un peu d’amertume. Est-ce qu’il me serait encore réservé dans l’avenir de pareilles humiliations ? Je suis prêt à les subir si le bien public l’exige ; mais je ne puis aller au-devant (naprachivatsa). Je ne mets pas de conditions à ma rentrée au service actif ; j’accepterai tout ce qu’on me désignera, pourvu que j’y puisse travailler d’une manière efficace aux affaires des paysans. Seulement je ne puis prendre des fonctions, de commis (kantseliarskikh) ; j’ai pour ce genre d’emploi une telle répugnance que tout travail de ce genre m’est devenu impossible, et sous cette rubrique je comprends tout emploi de secrétaire, sous, quelque forme que ce soit. »
  3. Allusion à la condition des serfs temporairement obligés durant deux ans avant d’être définitivement émancipés.