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pratique. Je sais que le personnel actuel de notre gouvernement n’est pas de force à s’élever à la hauteur d’un programme raisonné, fût-il rédigé par les sept sages de l’antiquité et fût-il compris dans le cadre d’un petit carré de papier. Après deux mois de méditation solitaire sur un sujet qui nous touche tous de si près, il serait impossible de ne pas donner cours à ces infructueuses réflexions……….. Pour moi, je viens enfin d’atteindre à cette vie modeste et paisible dont j’ai longtemps rêvé ; et je le dis en toute franchise, l’expérience des huit derniers mois, loin de rompre le charme de ce rêve idéal, a encore accru mon dégoût pour ce qu’on appelle chez nous la vie politique[1]…………….

«  D’ailleurs des raisons de santé m’obligent au repos. ……..

« Il est sans doute pénible d’abandonner sa part de travail en un pareil moment, quand d’autres succombent sous le fardeau, mais ma conscience n’a-t-elle pas de quoi se justifier ? Peut-on considérer comme exorbitans deux ans de repos après vingt-cinq ans de travaux forcés[2] ? Y a-t-il un grand profit à attendre de ma part de travail, là où le champ me reste libre à présent ? Je le dirai sans détour : s’il s’agissait de prendre part aux réformes que j’ai toujours rêvées, je serais prêt à sacrifier mes propres inclinations et mes coupables préoccupations personnelles. Mais je suis convaincu que cela est impossible dans l’état de choses actuel, et, quant à retourner à de nouvelles luttes, aux luttes d’autrefois, non en champ découvert, mais en guise d’éclaireur isolé, je n’en ai réellement plus la force. C’est pour cette raison principalement et non pas par calcul d’ambition, que je considère comme décidément impossible et inutile pour les affaires d’accepter n’importe quel rôle secondaire, tel que celui d’adjoint ou autre semblable[3]. Les fonctions mêmes de ministre ne sont possibles, à mon avis, qu’avec la pleine confiance de l’empereur. Aussi peut-on seulement accepter d’être ministre, mais ne saurait-on d’aucune façon le solliciter. Voilà ma pleine et sincère confession..…….. »

On voit par cette lettre quelles étaient les idées de Milutine sur la situation de son pays et sur sa position personnelle. En lisant ces lignes, il est difficile de ne pas sympathiser avec ce fier langage.

Quand il refusait de se rendre aux vœux des amis qui l’appelaient à Pétersbourg pour coopérer à des réformes dont il sentait si bien

  1. K nachei tak nazyvaémoï polititcheskoï déiatelnosti.
  2. Katorojnoï raboty.
  3. Tovarichtch, adjoint du ministre, fonction qu’il avait remplie près de Lanskoï.