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peuple, sur lequel pèse d’un poids si lourd la fatalité matérielle, ne trouverait-il pas le meilleur allégement a sa dure condition si ses yeux étaient ouverts à ce que Léonard de Vinci appelle la bellezza del mondo, s’il était préparé ainsi à jouir, lui aussi, de ces splendeurs que l’on voit répandues sur tout ce vaste monde, et qui, devenues sensibles au cœur, comme s’exprime Pascal, adoucissent ses tristesses et lui donnent le pressentiment et l’avant-goût de meilleures destinées » Il y aurait un livre à faire sur cette question qui touche à tant d’intérêts différens. Je n’insisterai donc pas en ce moment ; je me rallie complètement aux conclusions de M. Baudrillart sur ce point, et je crois que les administrateurs de l’état ou de la commune trouveront dans son livre plus d’un bon conseil.

Il me reste encore à dire quelques mots du luxe dans ses rapports avec les formes du gouvernement. Le sujet est vaste ; je ne puis que l’effleurer. M. Baudrillart y a consacré un chapitre où il dit des choses profondes et vraies. Mais, ici encore, je suis tenté d’être un peu plus « rigoriste » que lui. Il semble admettre pour la monarchie la nécessité d’un certain luxe. « On ne saurait affirmer, dit-il, qu’elle repousse tout éclat extérieur. Il y en a une part qu’exige toute institution monarchique. » Ailleurs il croit que Montesquieu n’écrirait plus ceci : « Dans les républiques où les richesses sont également partagées, il ne peut point y avoir de luxe, attendu que, cette égalité de distribution faisant l’excellence d’une république, moins il y a de luxe dans cette république, plus elle est parfaite. Dans les républiques où l’égalité n’est pas tout à fait perdue, l’esprit de commerce, de travail et de vertu fait que chacun y peut vivre de son propre bien et que, par conséquent, il y a peu de luxe. » Je pense, au contraire, que Montesquieu trouverait, dans le spectacle du monde actuel, bien des raisons pour ne point changer d’opinion. Il ne faut de luxe ni dans une république, ni dans une monarchie. « Il s’agit de l’humanité telle qu’elle est, et non de la nature humaine telle qu’elle pourrait être, » dit M. Baudrillart. Sans doute, il faut partir de ce qui existe ; mais dans les sciences morales on doit certainement chercher ce qui peut être, et surtout ce qui doit être. On poursuit un idéal ; les économistes, à mon avis, l’ont trop oublié.

Autrefois le faste des rois pouvait être utile, non aux peuples, mais au maintien de la royauté, parce que, comme les pompes du culte, il inspirait à la foule une sorte de vénération superstitieuse. Le souverain, dans l’éclat des magnificences qui environnaient le trône, apparaissait comme un dieu tout-puissant. Le luxe était une des bases du pouvoir. Aujourd’hui ces splendeurs n’en imposent plus : elles irritent ; les réponses des récens régicides de Berlin,