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un ministre va trouver un membre des communes de l’opposition, pour acheter sa voix, ainsi que cela se pratiquait alors. Le commoner dînait d’une épaule de mouton et buvait de l’eau pure. « J’aurais cru, lui dit-il, que la simplicité de mon repas m’aurait préservé » de l’injure de vos offres. » La mémoire du plus grand des orateurs de la révolution française est ternie par sa vénalité. Pourquoi Mirabeau consent-il à toucher une pension sur la cassette du roi, sinon pour soutenir son luxe et ses déréglemens ? Quoi qu’on ait dit, j’admire Jean-Jacques refusant tous les dons qu’on lui offre et s’obstinant à vivre, dans sa chambrette, du prix des musiques qu’il copie. Diogène voyant un homme qui boit de l’eau dans le creux de sa main, jette son écuelle pour faire comme lui. Économiquement il a tort, car il y a plus d’agrément et il faut moins d’efforts pour boire dans un verre que dans sa main ; mais le sentiment qui le guidait était, à mon avis, sensé. Discutant un jour la question du luxe, je souhaitai d’avoir, au lieu de nos pieds qu’il faut préserver des cailloux, des épines et de l’humidité, des sabots de cheval qui nous dispenseraient des bas, des chaussures et des souffrances qu’ils occasionnent. On appela mon système le sabotisme, et on le trouva ridicule. Je persiste à croire avec Bossuet que nos besoins sont des faiblesses qui nous détournent du ciel et nous plongent dans les intérêts terrestres. Sans besoins nous serions semblables à ces lis de l’Évangile, « qui ne tissent ni ne filent, » ou à ces rentiers qui cherchent tour à tour les plus agréables et les plus beaux lieux du monde pour jouir à l’aise des splendeurs de cet univers. Je ne l’oublie pas, l’homme est ainsi fait que le travail est ici-bas une condition de santé physique et de santé morale ; mais au moins, le travail, plus également réparti, ne devrait être ni prolongé, ni accablant au point d’abrutir. Le renoncement ne doit pas aller jusqu’à produire la grossièreté des mœurs et l’inertie de l’intelligence, encore moins jusqu’à béatifier la saleté, comme pour saint Labre, ou jusqu’à se mutiler comme les faquirs ; mais ne craignez rien, ce n’est pas de ce côté que penche le siècle. Tout le pousse vers le raffinement de la sensualité. C’est donc cet entraînement qu’il faut combattre. Osons proposer, comme modèles, Socrate dont le corps endurci bravait, à l’armée, le froid, le chaud et toutes les fatigues mieux que les vétérans et qui, sans besoins, ne vivait que pour la philosophie et la justice, ou bien saint Paul supportant sans fléchir toutes les épreuves, la prison, les verges, les naufrages, la pauvreté, « mille morts, » pour le service de la vérité. Des âmes d’apôtre dans des corps de fer, voilà ce qu’il faut offrir à l’admiration de notre temps et à l’imitation de la jeunesse, plutôt que la recherche d’un luxe raffiné pour des organes amollis et des sens blasés.

J’ai dit que l’on peut, en second lieu, considérer le luxe au point