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séditions où celui qui n’a rien réclame sa part de jouissance, » Que pourrait dire de plus l’adepte le plus fervent de cette école rigoriste que cependant M. Baudrillart taxe d’exagération ? C’est qu’il croit qu’un certain luxe, — modéré et moral bien entendu, — est indispensable comme stimulant au travail et que la recherche du nécessaire n’y suffirait pas. Je ne puis aucunement partager cette opinion, mais il faut que je dise pourquoi.

J’admets, avec Stuart Mill, que pour faire sortir des peuplades encore sauvages de l’espèce d’inertie animale et presque végétative où elles vivent plongées, il puisse être bon de leur donner des besoins nouveaux, afin qu’elles travaillent et qu’elles s’ingénient pour les satisfaire. Mais chez les populations européennes ce n’est pas le désir de consommer qu’il faut stimuler. « Voyez cependant, dit M. Baudrillart, ces malheureux entassés dans les caves de Lille ou dans les taudis de Londres. Ils se plaisent dans leur saleté et dans leurs ténèbres et n’en veulent pas sortir. » Je le demande, ce reproche est-il bien fondé ? Ils travaillent pourtant, ils peinent pour subsister. Peut-on leur faire un grief de ce que le salaire insuffisant qu’ils obtiennent les relègue dans des trous où un fermier ne logerait pas ses chiens ou ses porcs ? Le très grand nombre des hommes, même dans un pays riche comme la France, n’a ni le logement, ni l’ameublement, ni le vêtement, ni la nourriture que commande l’hygiène, et tous certainement désirent l’avoir. Comment ce désir du nécessaire ne suffirait-il pas pour stimuler au travail ? C’est l’unique ressort de ceux qui font œuvre de leurs bras, et ce sont précisément les oisifs qui recherchent le superflu.

« Mais, ô prétendus sages, s’écrie M. Baudrillart, que feriez-vous de ces milliers d’artistes, de ces centaines de mille ouvriers qui travaillent les métaux, les étoffes, l’ivoire, le bois, les gemmes avec un goût infini ? » Quelques pages plus loin, l’éminent économiste répond lui-même à cette question en réfutant ceux qui prétendent que « la France produit trop, » — « Que produit-elle donc de trop cette France bienheureuse ? Ce n’est pas l’ensemble des choses utiles ou agréables à la vie, quand il y a tant de pauvres ! Que l’on désigne donc cet objet produit surabondamment. Est-ce la laine, quand il y a tant de gens qui ont froid ? Est-ce le blé, quand il y en a tant qui manquent de pain ? » Les ouvriers qui travaillent l’ivoire et les gemmes produiraient cette laine et ce blé qui, dites-vous, font défaut encore aujourd’hui, et le problème se trouverait résolu. Même quantité de travail, mais travail plus utile. « Mais, dit encore notre auteur, vous ne pouvez pas distinguer le superflu que vous prétendez proscrire, du nécessaire que vous désirez multiplier. » — Sans doute, la notion de luxe est relative et dépend