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M. A. Blanqui avait écrit à propos du Kohinoor, de « la montagne de lumière » : « Les diamans m’ont toujours paru la chose la plus folle et la plus inutile, quoique les femmes les recherchent comme l’ornement suprême. » M. Baudrillart répond que la production des diamans représentait, en 1878, rien que pour les dix dernières années, une valeur de 350 millions, que plus de 20,000 ouvriers sont employés à chercher les pierres aux mines et plus de 3,500 lapidaires hollandais, belges et français à les tailler, gagnant de gros salaires : 3 francs pour les apprentis, et 15 ou 20 francs pour les maîtres. « Est-ce donc là, conclut-il, une simple inutilité ? »

A mon avis, une chose peut valoir des sommes énormes et être non-seulement très inutile, mais même très nuisible. Les Chinois achètent aux Anglais pour 400 millions d’opium : c’est pis qu’une inutilité, c’est un poison, et l’empereur de la Chine ferait chose très sage en jetant à la mer toutes les caisses de cet abominable narcotique que l’Angleterre lui impose. C’est ce que j’ai appelé de fausses richesses. Prétendre que la richesse consiste dans le travail, n’est-ce pas, comme disait Bastiat, du sisyphisme, où l’on cherche l’effort pour l’effort ? Je vois en effet des milliers d’ouvriers occupés aux mines ou dans les ateliers et recevant de bons salaires. Mais si les diamans qu’ils trouvent et qu’ils taillent n’ont d’autre effet que de surexciter de mauvais sentimens, la vanité chez celles qui les possèdent et l’envie chez celles qui n’en peuvent avoir, ne vaudrait-il pas mieux que ces pierres allassent rejoindre l’opium au fond de l’Océan ? Si ces mêmes ouvriers étaient employés à faire des souliers, des bas et des chemises pour ceux qui en manquent, ne faudrait-il pas s’en féliciter ? Je ne réclame pas de lois somptuaires, mais je vois avec plaisir un pays où, comme en Norvège et dans les cantons alpestres de la Suisse, si nul n’achète de diamans, tous ont de quoi se procurer le nécessaire. Le point capital et trop oublié est celui-ci : tout objet de luxe coûte beaucoup de travail ; ce travail ne peut-il pas être utilisé d’une façon plus rationnelle ? Si vous considérez un individu isolé, cette vérité apparaîtra clairement. Est-il un homme assez insensé pour consacrer trois ans de son existence à se fabriquer un joyau qui en réalité ne lui servira de rien ? Ce qui cache l’absurdité, c’est le phénomène de l’échange et le fait ordinaire que celui qui porte le bijou le commande à autrui. Mais si l’on considère l’humanité comme un seul homme, obligé de satisfaire à ses besoins par son labeur, on voit clairement que c’est folie d’employer une partie d’un temps si précieux à se tailler des diamans, quand elle marche encore souvent pieds nus. Les habitans d’un état disposent d’un certain nombre d’heures par jour : s’ils en consacrent la moitié à fabriquer des