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la décoration des habitations, des meubles, des ustensiles, et en tout au choix des belles formes, comme dans l’antiquité, il purifie le goût et devient ainsi un instrument de progrès.

Les animaux mêmes sont attirés par l’éclat des couleurs et peut-être par la beauté des lignes. Les naturalistes trouvent en ceci une des causes principales du perfectionnement des espèces. L’amour de la beauté produirait aussi l’amélioration de l’espèce humaine s’il n’était pas trop souvent contrarié par l’amour des richesses. Supprimez la dot ou établissez l’égalité des conditions, et le jeune homme beau et fort recherchera la jeune fille gracieuse et belle : de leur union sortiront des générations vigoureuses. Aujourd’hui un nain contrefait ou une méchante bossue, pourvu qu’ils aient le million, trouveront qui les prenne, et transmettront à leur descendance leurs défauts de conformation. Ainsi l’extrême inégalité gâte la race. L’amour du beau et l’instinct de l’ornementation sont donc choses bonnes en elles-mêmes, d’autant qu’ils ne poussent pas nécessairement au luxe, car ce n’est pas dans la cherté de la matière, mais dans l’harmonie des couleurs et dans la pureté des lignes qu’ils doivent se manifester. Une statue d’or ou d’argent couverte de pierreries révolte le goût. Les idoles de ce genre qu’on voit dans beaucoup de nos églises sont horribles. Mais quoi de plus charmant que ces petites statuettes de Tanagra en terre cuite, dont la matière première n’a pas coûté un soûl C’est aux époques de décadence de l’art que s’applique ce vers du poète : Materiam superabat opus, et qu’on a pu dire au sculpteur : « Ne pouvant faire Vénus belle, tu l’as faite riche. » M. Baudrillart montre bien la différence qui existe entre le luxe et l’art. « L’art poursuit la réalisation de l’idée du beau, ou bien la reproduction de certaines formes. Le luxe n’a qu’un but : paraître. L’objet de l’art est essentiellement désintéressé ; celui que le luxe se propose est au contraire égoïste. Qu’est-ce qu’aux yeux du luxe que ce beau lui-même, objet de la poursuite passionnée du véritable artiste épris, de la perfection ? Rien de plus que ce qui brille. Le luxe paie l’art comme il paie la matière ; il achète les chefs-d’œuvre comme il prodigue l’or pour les bijoux et les étoffes. »

M. Baudrillart signale enfin comme s’ajoutant aux autres sources du luxe le goût du changement. Il se traduit principalement par les caprices de la mode. C’est là en effet un des fléaux de notre époque. Autrefois chaque pays avait sa façon de s’habiller, commandée souvent par les nécessités du climat ou par les produits locaux. Ces costumes nationaux, pittoresques, solides, durables se transmettaient de génération en génération. Aujourd’hui, dans le monde entier on s’habille de même, mais on change de mode, les femmes surtout, à chaque printemps. Une couturière en renom