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monastères : pourquoi, allié à la culture de la raison, le sentiment de la justice ne le renouvellerait-il pas ?

Le temps n’est pas si loin où Buckingham, à la cour de France, portait sur son habit assez de diamans pour qu’en les semant sur le parquet, il pût voir toutes les dames d’honneur de la reine se jeter à genoux et les ramasser. Si le frac noir a remplacé les habits de soie et les canons de dentelle, pourquoi un changement pareil ne se ferait-il pas dans le costume des femmes ? Pendant toute l’antiquité classique ne se sont-elles pas contentées de la tunique de lin et de la chlamyde de laine fine ? Comme le luxe ici a sa source dans la vanité, ce qu’il faudrait changer, c’est l’opinion. Si l’opinion était assez éclairée pour comprendre que le luxe est une chose barbare, enfantine, immorale, et surtout inique, la femme qui, aujourd’hui, se pare d’objets coûteux pour plaire et en imposer, se contenterait d’être belle ou jolie à peu de frais, ce qui est certes la façon la plus charmante de l’être.

C’est dans les orateurs de la chaire qu’on trouve les plus éloquentes condamnations du luxe recherché par la vanité. Bossuet a des traits admirables à ce sujet. « Voyez-moi cette femme dans sa superbe beauté, dans son ostentation, dans sa parure. Elle veut vaincre, elle veut être adorée comme une déesse du genre humain, mais elle se rend premièrement elle-même cette adoration ; elle est elle-même son idole. » Et ailleurs : « Les hommes étalent leurs filles, pour être un spectacle de vanité et l’objet de la cupidité publique. Ils nourrissent leur vanité et celle des autres. » Et enfin ce passage d’une terrible énergie : « Cette femme ambitieuse et vaine croit valoir beaucoup quand elle s’est chargée d’or, de pierreries et de mille autres ornemens. Pour la parer, toute la nature s’épuise, les arts suent, toute l’industrie se consume. »

Cette sorte de luxe qui a sa racine dans les recherches de la sensualité est plus difficile à combattre, parce qu’au moins il s’agit ici de jouissances, très surfaites sans doute, mais cependant réelles, tandis que pour extirper le luxe d’ostentation il suffit d’en montrer le creux et la puérilité. M. Baudrïllart fait, à ce propos, des réflexions très justes. « La matière est finie par sa nature, et la sensualité est bornée comme elle. Mais l’homme se fait l’illusion qu’elle ne l’est pas : il lui semble que jamais une jouissance né lui a procuré tout ce qu’elle peut donner, et quand il en a épuisé une, il court après un autre plaisir. Les raffinemens se raffinent et ils en appellent de nouveaux. Combien, ici encore, de satisfactions factices qui n’ont de réalité que dans l’imagination ! Quel prix attaché à des nuances qui ne se découvrent qu’aux experts ! De même, l’amour-propre établit des supériorités sur des riens, et il y a des délicatesses fondées sut des