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écrit. Il ne faut point se contenter d’improviser, comme la rapidité de l’existence actuelle nous condamne trop souvent à le faire. L’amour de la vérité doit porter à la formuler le mieux que l’on peut. De cette façon, ce que l’on dit frappe davantage, et l’effet produit est plus durable. C’est ainsi que les jugemens de Tocqueville sont devenus des maximes qui circulent comme des médailles dans les débats politiques.

M. Baudrillart était parfaitement préparé à traiter un sujet qui touche en même temps à la morale, au droit, à la politique et à la philosophie. Depuis longtemps il a cessé d’appartenir à cette école qui borne les recherches de l’économie politique à la pure observation des phénomènes actuels. Dans son excellent livre, couronné par l’Institut, sur les Rapports de l’économie politique et de la morale, il montre le lien étroit qui les réunit l’une à l’autre. Dans ses études d’économie politique, il appuie toujours ses jugemens sur des idées philosophiques. Enfin, dans le volume récent qui contient les résultats de l’enquête sur la condition des classes rurales en Normandie, il trace de leur condition antérieure, depuis le commencement du moyen âge, un tableau où l’on ne peut méconnaître la plume de l’historien.

M. Baudrillart n’a pas manqué de faire emploi de ses connaissances si variées et de ses aptitudes si diverses dans cette Histoire du luxe qui est le résultat de vingt années de travail assidu. Tout d’abord il expose ce que l’on peut appeler la théorie du luxe. Il nous montre quelle est l’origine de la chose, et il examine ce qu’il convient d’en penser. C’est la partie morale et philosophique de l’ouvrage et j’y reviendrai bientôt. Il décrit ensuite le luxe aux différentes époques et dans les différens pays : dans la haute Asie, en Judée, en Égypte, en Grèce, à Rome, au moyen âge et dans les temps modernes. C’est la partie historique.

Le tableau de ces différentes civilisations, avec leurs mœurs, leurs coutumes et leurs beaux-arts, offre une lecture si attachante qu’on ne peut quitter l’ouvrage avant d’avoir achevé le dernier des quatre gros volumes dont il se compose. M. Baudrillart a eu l’heureuse idée de reproduire ou de résumer les jugemens émis aux diverses époques sur le luxe, de sorte qu’on peut suivre ainsi les variations et les différens aperçus de la pensée humaine sur cette grave question. Il résulte de cette étude, que c’est seulement aux époques de relâchement moral que le luxe trouve des écrivains pour le louer.


I

Il faut d’abord s’entendre sur le sens du mot luxe. M. Baudrillart ne s’attarde pas à chercher une définition. Il suppose que