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LES
APOLOGISTES DU LUXE
ET
SES DETRACTEURS

Histoire du luxe privé et public, par M. H. Baudrillart, de l’Institut ; 4 vol. Paris, 1878-1880 ; Hachette.


Au XVIIIe siècle, on a longtemps et vivement discuté à propos du luxe. Aujourd’hui on se contente d’en faire, mais à outrance. Le luxe est-il utile ? voilà ce qu’il s’agit de décider. J’ai lu, je ne sais où, un mot qui me paraît résumer parfaitement le débat. Un financier et un économiste du siècle dernier différaient complètement d’avis à ce sujet. « Je prétends, moi, disait le financier, que le luxe soutient les états. — Oui, répondit l’économiste, comme la corde soutient le pendu. » Je suis de l’avis de l’économiste. Les philosophes de l’antiquité et les pères de l’église ont condamné le luxe dans les termes les plus violens, et ils ont eu raison. Il est pernicieux pour l’individu et funeste pour la société. Le christianisme primitif le réprouve au nom de la charité et de l’humilité, l’économie politique au nom de l’utilité, et le droit au nom de l’équité.

M. Baudrillart a bien fait de reprendre la question. Elle est actuelle, car elle touche au fond même de ces luttes sociales qui sont le grand péril de l’avenir pour les sociétés civilisées. L’Histoire du luxe, que M. Baudrillart vient de publier, est une œuvre magistrale et qui restera. Mérite trop rare chez les économistes, ce livre est écrit : j’entends par là que l’auteur a donné à sa pensée une forme achevée, comme l’ont fait les classiques. Qu’est-ce que le style ? Tout et rien. Rien, car on peut dire que c’est le fond qui importe seul. Tout, car c’est le style qui assure la durée d’un