Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/952

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ne pas admirer, bouche bée, les trente-quatre mille cinq cent soixante-quatorze vers du Mystère de la Passion. Ajoutons donc quatre mots encore à la conclusion de M. Petit de Julleville. C’est un grand bonheur que les hommes de la Renaissance n’aient pas eu la bizarre et dangereuse pensée de continuer la tradition des mystères. On ne ranime pas les cadavres. À chacun son métier. Ce n’est pas affaire à l’église de mêler l’agréable à l’utile et de divertir les populations. Elle l’a compris, puisqu’enfin c’est elle qui la première a proscrit les mystères. Quant au drame national et chrétien, tout prêt à sortir de ces monstrueuses représentations, nous ne pouvons que redire ce que nous avons dit, c’est entretenir de robustes illusions que d’y croire. Tout ici tient en un mot : les mystères n’étaient pas du théâtre. On peut d’ailleurs, on doit même étudier les mystères. Non pas sans doute qu’ils nous fournissent autant de renseignemens que l’on croit. N’oublions pas que le temps de leur plus grande vogue est vers le XVe siècle, que tout ce qu’on a découvert depuis qu’on s’est mis à les étudier « scientifiquement » n’a pas beaucoup diminué l’importance des Confrères de la Passion, que toutes les dates nous reportent à des temps sur lesquels ne manquent pas des renseignemens de toute sorte, et que par conséquent nous ne trouvons pas grand’chose dans les Mystères que nous ne retrouvions ailleurs, si ce n’est les Mystères eux-mêmes. Pour les temps antérieurs au XIVe et au XVe siècle, ils offrent peut-être une source plus abondante en renseignemens plus précieux.

Après cela, pour en revenir au livre de M. Petit de Julleville, ce qui lui manque surtout, c’est d’être fait sur un autre sujet, il était bon qu’un professeur de littérature française écrivît une Histoire de la langue et de la littérature françaises au moyen âge, pour montrer que notre haut enseignement littéraire ne restait pas tout à fait indifférent aux travaux de l’érudition. Mais ni pour l’érudition elle-même, ni pour les maîtres, ni pour les élèves, ni pour le public, nous ne voyons l’intérêt qu’il y aurait à détourner l’enseignement littéraire proprement dit de ses anciennes voies. Espérons que les prochains volumes de cette Histoire du Théâtre nous donneront matière à de plus amples éloges. L’histoire, littéraire est une chose et l’histoire de la littérature en est une autre. C’est une distinction qu’il importe de maintenir, d’ailleurs sans en exagérer l’importance. Et si nos professeurs de littérature en étaient bien convaincus, il me semble qu’on a pu voir que ce ne sont pas les travaux qui manqueraient à leur activité, et certainement le public, qui n’appréciera jamais de l’érudition que ses résultats, les suivrait de ses sympathies dans ces voies où jadis il suivit les Villemain et les Sainte-Beuve.


F. BRUNETIERE.