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donner pour le classement d’un grand nombre de Mystères ou de Chansons de geste. M. Petit de Julleville avait très bien dit : « L’ancien Testament, aux yeux de l’exégèse chrétienne du moyen âge, est la préparation et la figure du nouveau. L’attente de Jésus-Christ, annoncé par les prophètes, figuré par les patriarches et les saints, attendu par tous les justes, le remplit d’un bout à l’autre. » Il ajoute même : « L’histoire des premiers hommes, et celle du peuple juif, n’apparaît aux yeux des auteurs des mystères qu’à travers le dogme de la rédemption. » Mais que ne s’en tenait-il à ces termes ? et pourquoi ce qui suit : « De là l’inégalité, les défauts de proportion qui nous choquent d’abord dans les Mystères du Viel Testament. » M. Petit de Julleville a tort d’être choqué. C’est comme si j’étais choqué, voyant le Britannicus de Racine, que Racine n’eût pris dans les Annales de Tacite que ce qui convenait à la manière dont il avait conçu son sujet. C’était le droit absolu des auteurs de nos Mystères de n’emprunter à l’ancien Testament que les parties, et dans ces parties, que les détails qui convenaient à leur dessein. Il n’y a pas là défaut de proportions, il n’y a que défaillance d’exécution. Ce n’est pas la même chose. Mais ce qui devrait choquer M. Petit de Julleville, c’est que l’érudition se soit avisée de distinguer le cycle de l’ancien et le cycle du Nouveau-Testament. Ou du moins, comme nous le disions, l’érudition avait ses raisons de distinguer deux, trois, quatre, autant de cycles qu’il lui plaisait, mais c’étaient des raisons tirées de la commodité des érudits et non pas du fond du sujet. Quand je n’en aurais, d’autre preuve que le prologue du mystère d’Arnoul Gresban, cela me suffirait. Ce n’est que par accident que les Histoires de l’ancien Testament se sont détachées de la conception fondamentale du mystère du moyen âge.

Et c’est pourquoi, — parce que le mystère n’était proprement qu’une vivante exposition des vérités essentielles de la foi, — nous ne pouvons voir « l’émancipation du drame » dans le désordre qui s’y met. Les mystères meurent, mais rien ne naît, parce qu’ils ne menaient à rien. Quand ils disparaissent, ils disparaissent tout entiers. Nous avons au moins cette satisfaction de voir que M. Petit de Julleville en convient. « Entre le mystère et la tragédie la tradition littéraire est brisée. » Cela est vrai, cela doit être vrai, puisque les érudits le reconnaissent. Mais ils le regrettent amèrement. Je crois qu’il faut, pour éprouver de semblables regrets, un bien obstiné parti-pris de rendre la religion même et le patriotisme solidaires de la littérature française du moyen âge.

Qui méprise Cotin, n’estime point son roi
Et n’a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi.


Trouver que la Chanson de Roland est une lecture mortellement ennuyeuse, c’est manquer au patriotisme. C’est manquer à la religion que