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traditionnellement aux mystères ? une facture propre à ce genre de poème ? une langue particulière à la nature des sujets ou aux conditions de la représentation ? Qu’on me montre une seule question, de quelque importance, qui touche à l’histoire des mystères, qu’on n’ait pas lieu de se poser à l’occasion du Mystère de la Passion ? qu’on ne puisse pas résoudre avec le texte du Mystère de la Passion ? et si par hasard elle réclamait des développemens plus amples, qu’on ne puisse pas au moins faire comme graviter autour de l’étude du Mystère de la Passion pris pour centre ? Nous trompons-nous quand nous croyons que ce livre mériterait d’être écrit ?

Nous n’avons pas, pour nous, à l’écrire. Mais il faut montrer au moins sur un point et par un exemple que le Mystère de la Passion contient bien tout ce que nous y voyons. Ainsi l’une des premières questions qui se posent est celle-ci : Qu’était-ce au juste qu’un mystère ? Était-ce un spectacle, dans le sens que nous attachons à ce mot ? Était-ce un divertissement du monde, une fête des yeux, un régal de l’esprit ? ou si c’était une sorte de cérémonie pieuse, un moyen d’édification populaire, un instrument de dévotion ?

Il suffit, pour répondre à cette question, d’un simple coup d’œil jeté sur l’économie du Mystère de la Passion[1]. Il se divise en quatre journées. La première s’ouvre par deux scènes caractéristiques. On voit d’abord, dans les limbes, Adam, Ève, Isaïe, Ézéchiel, Jérémie et David,

Attendant leur redempcion
Par la haulte incarnacion
Du doulz et benoît Filz de Dieu.

Chacun d’eux à son tour déclame un couplet de lamentations et un hymne d’espérance.

O doulx Messias débonnaire,
En qui est nostre seul recours,
Approche, vien, si nous secours…

La seconde scène nous transporte en paradis, « où sont cinq personnages, et première se lève une dame. » C’est la Miséricorde qui plaide contre la Justice de Dieu la cause du genre humain et par des argumens tirés de l’ordre théologique proprement dit, ainsi :

Vous arguez : quiconques peche
Contre la majesté haultaine
Doit avoyr infinye peine.
L’omme a fait offence samblable,
Si doit avoir peine infinable.

  1. Le Mystère de la Passion, d’Arnoul Gresban, publié avec une Introduction et un Glossaire, par MM. Gaston Paris et Gaston Raynaud, in-8o ; Paris, 1878.