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Ce sera encore le mystère dont l’effet aura été le plus grand sur les contemporains, celui qu’on aura sur tous les points du territoire le plus souvent redemandé, celui qu’on aura, de Modane à Péronne et de Grenoble à Rouen, le plus constamment applaudi. Le Mystère de la Passion, représenté quatre-vingt-huit fois, de 1398 à 1580, tandis que de tous les autres le plus populaire n’aurait été joué que douze fois, d’après les listes mêmes de M. Petit de Julleville, le Mystère de la Passion répond encore assez bien à la condition. Et si maintenant, parmi les diverses rédactions du Mystère de la Passion, j’en trouve une en quelque façon synthétique par-dessus toutes les’autres, qui s’étende, en plusieurs milliers devers, depuis la Création du monde jusqu’à l’institution de la Pentecôte, et qui m’offre en raccourci, dans telle scène épisodique, d’autres mystères entiers joués en d’autres temps et d’autres lieux sous une forme plus développée, — la Mort d’Abel, la Nativité de Jésus-Christ, les Pèlerins d’Emmaüs, — est-ce que je n’aurai pas le droit de dire que ce Mystère de la Passion peut et doit être tenu pour le plus considérable, et sur l’examen attentif que j’en vais faire, de conclure au général, pour tous les Mystères, indistinctement ? Entendons-nous bien, j’aurais lu tous les autres Mystères connus jusqu’à ce jour, manuscrits ou imprimés ; j’en aurais fait l’analyse, par écrit même s’il l’eût fallu, pour le soulagement de ma mémoire et la facilité de mon travail ; j’aurais corrigé par la connaissance des détails ce qu’il y aurait eu nécessairement de hasardeux dans mes généralisations, si j’avais travaillé sur un document unique et conclu sur la foi d’une seule expérience. Mais je n’aurais pas donné mes notes au public.

Je m’en serais servi pour faire entrer dans l’analyse ou plutôt dans l’interprétation d’un seul Mystère ce qu’il y a d’essentiel à dire sur les mystères. Fallait-il tant de mots pour montrer le drame liturgique débauchant entre deux offices, puis se débordant du sanctuaire sur le parvis et du parvis sur les « échafauds » de la place publique ? Était-il si compliqué de montrer, dans une Passion de trente-quatre mille sept cent soixante-quatorze vers, tout ce que le drame primitif avait contenu, dès sa naissance, de germes d’avenir ou de prospérité future, parvenu dès 1450 à son complet développement ? Quoi de plus simple que de montrer dans un seul exemple, mais suffisamment approfondi, ce mélange de grossièreté repoussante et d’enthousiasme naïf qui caractérise les moindres échangions comme aussi bien les chefs-d’œuvre du genre ? Quoi de plus simple encore que de déduire de cet interminable poème les lois de la composition des mystères et d’y reconnaître à la fois l’inspiration dont ils procèdent, les moyens dont ils usent pour soutenir l’intérêt, les artifices de mise en scène et le luxe de figuration dont ils se rehaussent pour passionner la curiosité des yeux et ravir les applaudissemens ? Quoi de plus simple enfin que de discerner dans un drame de cette étendue, s’il y avait un style approprié