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Ainsi s’exprime Faust dans une sorte d’éblouissement religieux, que traduit une musique pleine de calme et d’élévation. L’atmosphère a changé, l’ère des sombres déchiremens est passée, celle des glorifications commence, et la transformation s’accomplit par l’idéal ; salut abstrait sans doute et dont les conceptions du panthéisme auraient eu quelque peine à nous représenter le spectacle, que Goethe ira tout simplement emprunter à la légende chrétienne au risque de se faire taxer d’inconséquence. Heureusement la musique n’entre point dans ces discussions-là, et les magnificences d’un paradis plus ou moins dantesque n’étaient guère pour effrayer un Italien germanisant. De vibrations en vibrations, de monde en monde, l’âme s’est élancée vers les harmonies éternelles ; le ciel s’entr’ouvre de nouveau, et l’épilogue vient accomplir la loi et les prophètes du prologue : plénitude de l’extase, bonheur, cœur, amour, Dieu ! thème sublime pour les voix et pour l’orchestre, auquel on peut dire aujourd’hui que le jeune maître n’a point failli.

L’œuvre de M. Boïto nous était déjà connue de longue date, mais nous avons voulu attendre pour en parler tout à notre aise qu’une importante épreuve fût tentée en dehors de l’Italie. On a toujours si mauvaise grâce à venir préconiser ce que personne autour de vous ne connaît, et puis ces beautés seraient-elles ce que vous dites, resterait encore à savoir comment le théâtre pourrait s’en accommoder. « Il faut voir cela aux chandelles, » opinaient jadis nos pères. Eh bien ! c’est fait : on l’a vu à Londres à la clarté du lustre, ce Mefistofele, et désormais tout un grand public : artistes, critiques, gens du monde, existe auprès duquel on n’a qu’à aller se renseigner. Consultez-les sur la valeur de l’œuvre, et tous vous répondront par la sentence que portent « les voix d’en haut » sur Marguerite au dénouaient du poème de Goethe : « Elle est jugée. »


F. DE LAGENEVAIS.