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rappelant l’attitude de son représentant à Berlin et en le sommant d’y conformer sa conduite sous peine de perdre tout crédit. Il ne s’agissait encore que de déterminer la France à prendre part à une démonstration navale sur les côtes d’Albanie ; les répugnances du cabinet de Vienne étaient notoires ; l’Allemagne et l’Italie ne témoignaient aucun empressement ; il était donc manifeste que c’étaient l’Angleterre et la Russie qui poussaient à une action. Cette conduite du cabinet anglais plaçait dans la situation la plus fausse bon nombre de radicaux qui, avec une entière bonne foi, avaient combattu le ministère précédent comme trop disposé à pratiquer une politique aventureuse et à engager témérairement l’Angleterre dans des entreprises extérieures. Il se trouvait que, dans cette voie, M. Gladstone laissait derrière lui lord Beaconsfield ; il compromettait tous les jours la paix générale que son prédécesseur avait contribué à rétablir, sans qu’il fût possible de découvrir à cette conduite aucun motif sérieux, aucune utilité appréciable. Aussi les radicaux laissaient-ils éclater une impatience de jour en jour plus grande, et à la dernière séance de la chambre des communes, le II septembre, l’envoi des escadres sur les côtes d’Albanie n’étant plus douteux, cette impatience fit explosion. M. Cowen s’éleva avec force contre l’idée que l’Angleterre pût dépenser son sang et son argent pour agrandir le territoire de bandits et de coupe-jarrets tels que les Monténégrins, et pour imposer aux Albanais un joug qui leur est odieux. Sir Wilfrid Lawson demanda si le gouvernement comptait prendre le rôle de redresseur universel de torts et protesta énergiquement contre les entraînemens d’une politique qui dérivait vers la guerre. M. Gladstone était rentré à Londres, le 21 août, pour assister au conseil de cabinet où avaient été arrêtées les instructions à envoyer à l’amiral anglais ; mais, sur l’avis des médecins, il s’était abstenu de reparaître à la chambre des communes ; il y était venu, ce jour-là, pour prendre congé de ses collègues. Il ne put se retenir de parler. Après avoir défendu la réputation des Monténégrins, il attaqua la Turquie et déclara protester de toutes ses forces contre l’opinion que le maintien de l’empire turc fût une nécessité européenne. Ce qui était indispensable, au contraire, c’était de réformer cet empire et de faire bien comprendre aux Turcs que, s’ils se refusaient à remplir leurs devoirs de gouvernans vis-à-vis des races sujettes, les puissances, quelque désir qu’elles pussent avoir de prévenir les complications inhérentes à une dissolution de cet empire, ne feraient plus rien pour maintenir son existence. Il termina en refusant de prendre l’engagement qui était réclamé de lui de convoquer le parlement avant tout recours à la force, en alléguant le concert établi entre les puissances qui