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nettement dessinée et qu’elle n’aurait pas commencé à porter ses fruits. Ils estimèrent qu’il valait mieux pour leur parti se tenir sur la réserve et laisser le champ libre à ceux des radicaux qui ne partageaient pas les vues du gouvernement, les uns par sympathie pour les populations musulmanes, les autres parce qu’ils désapprouvent l’ingérence de l’Angleterre dans les affaires des autres peuples et surtout l’emploi de la force. Tout se passa donc entre le ministère et quelques-uns de ses partisans habituels. Le 23 juillet, à l’occasion d’une motion de M. Bryce relative à la famine qui désole l’Arménie, il fut fait allusion à l’attitude que M. Gladstone avait prise dans la session précédente, et un orateur, M. Ashmead Bartlett, censura. l’hostilité systématique dont le gouvernement faisait preuve vis-à-vis de la Turquie. M. Gladstone protesta vivement contre cette imputation, en soutenant que la gouvernement n’était coupable ni d’injustice ni d’animosité à l’égard de la Turquie. Quant à ses discours des années précédentes, il prétendit, non sans exciter quelques sourires, qu’on ne pouvait s’autoriser des paroles « d’un simple particulier aussi insignifiant qu’il l’était alors » pour faire peser sur lui la responsabilité de la politique du ministère. Après avoir ainsi contesté qu’on fût fondé à tirer aucune conclusion du langage qu’il avait pu tenir précédemment, il nia que, dans les circonstances présentes, le gouvernement fût dans l’obligation de faire connaître catégoriquement si des mesures de coercition seraient un jour adoptées : il termina en exprimant une confiance, empreinte de quelque réserve, dans l’efficacité du concert européen.

Ainsi, M. Gladstone en était déjà arrivé à ne pas exclure des perspectives de la politique anglaise l’emploi de moyens coercitifs vis-à-vis de la Turquie ; il n’avait pas encore osé avouer que sa résolution personnelle, sur cette question, était déjà prise et que le cabinet dont il était le chef ne négligeait aucun effort pour faire partager aux puissances cette manière de voir. Mais le gouvernement anglais avait beau s’entourer de mystère ; les faits parlaient pour lui. Il devenait chaque jour plus manifeste qu’un recours à la force était la conséquence logique de la ligne de conduite adoptée vis-à-vis de la Turquie, que l’Angleterre ne reculait aucunement devant cette conséquence, et que la plupart des autres puissances ne la suivaient qu’à regret dans cette voie. Quant à la prétendue initiative de la France, derrière laquelle l’Angleterre avait affecté de marcher, cette manœuvre était percée à jour ; non-seulement le peuple français se montrait hostile à toute tentative d’intervention, mais le Times, brusquement rallié à la politique extérieure du gouvernement, en était réduit à adresser coup sur coup de véritables mises en demeure au gouvernement français en lui