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d’acres sur une superficie totale d’environ vingt millions. M. Gladstone s’appuyait sur le nombre considérable d’évictions qu’il prétendait avoir eu lieu depuis dix-huit mois et avoir nécessité la mise en mouvement d’une véritable armée de constables. M. Gibson démontra que, sans s’en douter, le premier ministre avait réuni dans un même chiffre les mises en demeure sous peine d’éviction, qui étaient de simples actes conservatoires, et les évictions réelles, dont le nombre était peu élevé. Le même orateur établit que, dans chaque district, c’étaient les mêmes agens qui étaient chargés de signifier ou de faire exécuter toutes les ordonnances d’éviction, et que M. Gladstone était arrivé aux chiffres monstrueux qu’il avait cités en multipliant le nombre des brigades de constables par celui des ordonnances rendues, comme si chacune de celles-ci avait exigé l’emploi d’une brigade spéciale. Ce qui produisit l’impression la plus défavorable, ce furent les changemens que les ministres apportèrent à plusieurs reprises à la rédaction du bill dans l’espoir, toujours déçu, de satisfaire à la fois les députés irlandais et les libéraux dissidens. Pour désarmer l’opposition de ceux-ci, M. Gladstone fit présenter, avec quelque fracas, par le procureur-général d’Irlande, M. Law, un amendement aux termes duquel le propriétaire pouvait s’affranchir du paiement de l’indemnité en autorisant son tenancier à céder contre argent son droit au bail. Les autonomistes irlandais jetèrent feu et flammes en déclarant que cet amendement ôtait au bill toute efficacité ; leur chef, M. Parnell, fit observer avec quelque raison qu’il y avait trop de fermiers en arrière et menacés d’éviction pour que le droit à un bail eût la moindre valeur. A la suite d’une discussion très vive, l’amendement fut retiré, et M. Gladstone y substitua une rédaction nouvelle à l’effet de restreindre les effets du bill au cas où le propriétaire repousserait les propositions de son tenancier sans offrir à son tour une alternative raisonnable. Ces termes étaient aussi vagues que la rédaction première, et le pouvoir discrétionnaire attribué au juge du comté était aussi étendu ; aussi les libéraux reproduisirent-ils toutes leurs objections. M. Gladstone et M. Forster tinrent bon, mais sur un autre point ils durent céder au sentiment manifeste de la chambre, afin d’éviter un échec imminent. M. Chaplin soutint que, si la mesure avait pour objet de soulager des souffrances réelles et non de porter atteinte au droit de propriété, l’effet en devait être limité à la classe dont la détresse était incontestable, c’est-à-dire aux petits tenanciers, dont les faibles ressources avaient pu être épuisées par une ou deux mauvaises récoltes, et qu’on devait laisser en dehors les exploitations qui n’avaient pu être entreprises qu’avec des fonds et du crédit. M. Chaplin proposa donc de ne rendre le bill applicable qu’aux