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propositions qu’il pouvait faire. Aucun recours n’était ouvert au propriétaire contre une décision qu’il pouvait juger injuste et mal fondée. La loi, en outre, donnait ouverture à des spéculations malhonnêtes : un fermier, déjà en arrière, pouvait être tenté de dissimuler ses ressources et de continuer à ne pas payer, afin de provoquer sa propre expulsion et d’acquérir le droit de réclamer l’indemnité prévue dans la loi. Même en retenant sur cette indemnité les deux ou trois années échues, le propriétaire ne pourrait congédier son tenancier insolvable ou malhonnête qu’en ajoutant à ses pertes une véritable amende égale à quatre ou cinq années de fermage.

La mesure imprudente et irréfléchie dont M. Forster avait pris l’initiative rencontra une opposition très vive, non-seulement de la part des conservateurs, mais de la part de bon nombre des amis du ministère. Un des jeunes membres de l’administration, le marquis de Lansdowne, donna sa démission pour se dégager de toute responsabilité dans la présentation du bill. Cet exemple fut suivi bientôt après par deux autres membres de la chambre des lords qui occupaient des situations officielles dans la maison de la reine, et qui voulurent acquérir le droit de voter contre la mesure ministérielle. Parmi les adversaires qu’elle rencontra au sein de la chambre des communes se trouvèrent plusieurs des plus grands noms de l’aristocratie libérale : M. Albert Grey, celui-là même qui avait proposé l’adresse en réponse au discours de la reine, et lord Edward Cavendish, se signalèrent par l’acharnement de leur opposition : ils furent appuyés par M. Henry Brand, le fils du président, par le colonel Kingskote et par d’autres libéraux éprouvés. Aussi, malgré l’appui de la députation irlandaise presque tout entière, la seconde lecture ne fut-elle votée qu’à la majorité de soixante-dix-huit voix ; la majorité tomba encore au-dessous de ce chiffre lorsqu’il s’agit de passer à la discussion des articles.

Cette discussion, qui occupa sept longues séances tout entières, ne fut pas moins acharnée que la discussion générale, et elle me fut pas plus favorable au gouvernement. Comme le bill était le résultat d’une inspiration soudaine de M. Forster et de M. Gladstone et qu’il n’avait été précédé d’aucune étude préparatoire, les ministres se trouvèrent plus d’une fois à court d’argumens : plus d’une fois aussi ils virent se retourner contre eux les argumens dont ils s’étaient servis. S’ils faisaient valoir la courte durée du bill, limité à deux années, on leur opposait la gravité de l’innovation qu’il causerait, et le nombre des mesures, votées à titre temporaire, et que des renouvellemens successifs avaient rendues définitives. S’ils avançaient que le bill n’était applicable qu’à une partie de l’Irlande, on établissait que les 17 comtés nominativement désignés dans la loi couvraient plus d’onze millions