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bancs de la chambre. Le président fit appel à la chambre, en constatant que son autorité était méconnue. C’était au chef du gouvernement à prendre l’initiative d’une proposition. Les cris : « Gladstone ! Gladstone ! » retentirent de toutes parts. Irrité de son échec de la veille et ne cherchant pas à dissimuler son dépit, le premier ministre ne répondit ni aux prières de ses collègues ni à l’appel de ses partisans : il fit obstinément la sourde oreille et se mit à feuilleter un dossier comme s’il se désintéressait absolument de ce qui se passait au sein de la chambre. Prenant alors le rôle abandonné par le chef de la majorité, le chef de l’opposition, sir Stafford Northcote, se leva au milieu des applaudissemens des conservateurs et proposa : qu’attendu que M. Bradlaugh, en méconnaissant l’autorité du président, avait manqué de respect à la chambre, il fût remis à la garde du sergent d’armes, pour être détenu jusqu’à ce que la chambre en décidât autrement. Cette proposition fut adoptée par 274 voix contre 7. Le sergent d’armes s’avança alors, et dès qu’il eut touché M. Bradlaugh à l’épaule, celui-ci le suivit sans difficulté en déclarant qu’il cédait à la force matérielle.

Quelque douce que fût la captivité de M. Bradlaugh, personne ne songeait à le retenir en prison ; mais il ne pouvait être rendu à la liberté qu’en vertu d’une nouvelle décision de la chambre. Qui la provoquerait ? M. Gladstone, dont le dépit n’était pas encore calmé, se refusa obstinément à le faire. Ce fut encore sir Stafford Northcote qui dut prendre l’initiative ; à la séance suivante, voyant le premier ministre immobile à son banc, et, informé de sa détermination, il proposa et fit voter la mise en liberté de M. Bradlaugh, qui avait suffisamment expié ses torts par la détention qu’il avait subie. Cette mise en liberté n’était point une solution : M. Bradlaugh annonçait, en effet, sa ferme résolution de renouveler son entreprise, et sa vanité seule garantissait qu’il tiendrait parole : cette succession d’incidens l’avait mis fort en vue ; le parlement et le public ne s’occupaient que de lui, et il était devenu un sérieux embarras pour le gouvernement. L’adoption de la motion de sir Hardinge Giffard avait été un vote d’entraînement auquel les passions religieuses et politiques avaient eu plus de part que la réflexion. On avait refusé à M. Bradlaugh la faculté d’affirmer simplement sa fidélité à la reine, et quand il se présentait pour jurer fidélité, on refusait de recevoir son serment comme étant sans valeur dans sa bouche. On aboutissait ainsi à l’exclure du parlement à raison de ses opinions politiques et religieuses : où puisait-on ce droit, qui avait pour conséquence de priver le bourg de Northampton d’un de ses deux représentons ? On avait ainsi fait passer la logique et le bon droit du côté de M. Bradlaugh. Sa personnalité peu sympathique disparaissait tout à coup, et la chambre des communes se