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prêts à appuyer contre lui n’importe quel candidat libéral. M. Bradlaugh était trop avisé pour courir un pareil risque. Il tint une toute autre conduite que celle qu’on attendait. Après avoir qualifié, dans un meeting tenu en son honneur, la prestation du serment de farce solennelle, il adressa à tous les journaux une lettre dans laquelle il déclarait ne vouloir point laisser en souffrance les intérêts qu’il avait mandat de représenter, ni priver la grande cause du peuple du bénéfice de ses efforts et de son vote : en conséquence, bien que la prestation du serment ne fût à ses yeux qu’une vaine cérémonie, et le serment lui-même « une formule vide de sens, » il allait se soumettre aux exigences du règlement pour pouvoir prendre part immédiatement aux travaux du parlement.

Cette lettre, qui était une bravade préméditée et de mauvais goût, causa la plus vive irritation au sein de la chambre des communes, même dans les rangs du parti libéral. Lorsque M. Bradlaugh se présenta pour prêter serment, un député indépendant, bien qu’ayant des affinités conservatrices, sir H. Drummond Wolff, se leva et demanda si un homme professant les opinions dont M. Bradlaugh avait publiquement fait parade était admissible à prêter serment, et si la chambre pouvait, sans déroger à sa dignité, s’associer à une comédie et à un acte blasphématoire. Il proposa, en conséquence, une résolution à l’effet de statuer que M. Bradlaugh ne pouvait prêter serment, attendu qu’il avait commencé par réclamer le droit de faire une simple affirmation, en déclarant que le serment ne pouvait, à aucun degré, avoir pour effet de lier sa conscience. Il appartenait à M. Gladstone de combattre directement cette motion : il devait soutenir dès ce jour, comme il fut contraint de le faire plus tard, que la chambre n’avait pas le droit de scruter la conscience de ses membres, et que lorsqu’un député offrait de se conformer au règlement, on ne pouvait lui en dénier le bénéfice. En présence de l’agitation à laquelle la chambre était en proie, le premier ministre essaya encore une fois de tourner la difficulté. Par amendement à la motion de sir H. Drummond Wolff, il proposa la nomination d’une nouvelle commission spéciale chargée d’examiner si la chambre avait le droit de mettre obstacle à la prestation du serment par un de ses membres, et dans quelles conditions elle pouvait exercer ce droit. Cinq séances entières furent consacrées à discuter la composition de la commission et les questions qui lui seraient soumises. Ce fut le 31 mai seulement que la proposition de M. Gladstone fut adoptée avec l’appui de sir Stafford Northcote et du parti conservateur.

La nouvelle commission, aussi divisée que la première, ne présenta son rapport que le 16 juin, après avoir entendu M. Bradlaugh. Sa conclusion était que, le serment ayant pour objet essentiel