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législateur, il s’agissait uniquement de déférer à un scrupule religieux en faveur de personnes qui se considéraient comme moralement obligées par leur affirmation au même degré que si elles faisaient intervenir le nom de la divinité. Cette remarque est essentielle, car, aux termes de la loi anglaise, un témoin qui déclarerait devant une cour de justice ne croire ni à Dieu ni à la vie future, ne pourrait être admis à déposer le juge devrait tenir son témoignage pour nul. Si donc M. Bradlaugh. avait déposé comme témoin devant les tribunaux, si même il avait siégé comme juré, c’était parce qu’il s’était borné à réclamer, dans les termes usités, la faculté de substituer l’affirmation au serment, comme s’il obéissait à un scrupule religieux. Il y avait donc mis, ainsi que le lui reprochaient ses adversaires, une certaine hypocrisie. C’était néanmoins en invoquant ces faits qu’il se refusait à prêter serment, alléguant que toute personne qui, devant les cours de justice, avait été admise à remplacer le serment par une affirmation, avait le droit d’en faire autant au sein du parlement. Cette prétention fut énergiquement combattue par les légistes de la commission : on tomba aisément d’accord que la loi qui avait réglé la prestation du serment devant les cours de justice ne visait aucunement la chambre des communes et n’était point applicable aux députés. Il y avait donc lieu d’examiner uniquement s M. Bradlaugh était dans la catégorie des personnes que le parlement a autorisées à remplacer le serment d’allégeance par une affirmation. Les jurisconsultes rigoureux constatèrent aisément que le règlement de la chambre désignait nominativement les confessions religieuses dont les membres étaient autorisés à substituer à la formule du serment une affirmation obligatoire pour leur conscience : M. Bradlaugh ne prétendait point appartenir à aucune des confessions ainsi désignées, il ne pouvait donc réclamer le bénéfice de cette tolérance. Sans contester la force de cette argumentation, un certain nombre de commissaires pensaient que, par voie d’interprétation, la chambre, qui est souveraine dans les questions de privilège, pouvait étendre la faculté d’affirmer à quiconque déclarait avoir objection à la formule du serment. L’opinion la plus rigoureuse prévalut à la majorité d’une voix, et la commission conclut au rejet de la demande de M. Bradlaugh.

Le rapport fut présenté, le 20 mai, le jour même où il fut donné lecture du discours royal. Tous les ministres avaient repris leur place sur les bancs législatifs : ils ne mirent point obstacle à ce que la chambre sanctionnât, par un vote conforme, lest conclusions de la commission. Nombre de gens crurent qu’on en avait fini avec M. Bradlaugh ; car on était convaincu que, s’il voulait suivre l’exemple donné par O’Connell et par M. de Rothschild, il ne serait pas réélu à Northampton, où les électeurs conservateurs étaient