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œuvre. Ce qui en garantit l’efficacité, les résultats et, en un mot, tous les fruits, c’est l’élévation, c’est la sainteté de l’idée qui en a inspiré les ouvriers.

« Tout leur vaste travail, tant par ses principes essentiels que par les plus minimes détails, témoigne que les membres de ces commissions ont été conduits par le pur amour du vrai et du bien, par l’amour du pauvre peuple russe. Quel que soit le développement de la nouvelle législation, le principal, le décisif est fait ; les paysans sont affranchis du servage ! Je l’ai désiré si fortement et si longtemps que ma joie a été inexprimable.

« … En dehors de l’énormité du travail dont témoignent ces Matériaux, les gens impartiaux doivent aujourd’hui se rappeler et apprécier la lutte morale que ces dévoués et loyaux ouvriers ont dû soutenir contre tant d’élémens hostiles. Par là leur service envers la Russie et envers l’humanité prend un caractère nouveau plus remarquable et plus brillant encore. Je trouve en outre dans les Travaux des commission de rédaction, indépendamment même de leur objet, la preuve incontestable qu’en Russie, on peut concevoir et exécuter les plus grandes réformes législatives. Pour ma part, je n’en avais jamais douté, mais la preuve est si évidente qu’elle doit convaincre tous et chacun.

«… Là où l’on a pu créer le nouveau code (pologénié) des paysans, on peut naturellement publier de nouveaux statuts dans les diverses branches de l’administration publique et le faire en aussi peu de temps, c’est-à-dire en deux ou trois ans. Il faudrait seulement avoir recours aux mêmes moyens et aux mêmes hommes que pour la libération des paysans… »

Le vœu de Nicolas Tourguénef ne devait pas être réalisé. La grande consolation de Milutine dans un congé qui n’était pas sans ressemblance avec un exil, c’est, comme il nous l’a dit lui-même, qu’il emportait la conviction que son œuvre ne succomberait pas avec lui. A cet égard, ses pressentimens ou mieux ses prévisions ne devaient pas être démenties. La confiance qu’il avait mise dans la sincérité et dans la fermeté du souverain ne fut pas trompée. En consentant par désir d’apaisement à un changement de personnes, Alexandre II ne permit aucune mutilation à la charte du 19 février. Le successeur de Lanskoï au ministère de l’intérieur, M. Valouief, tint la parole donnée par lui à Milutine ; il fit appliquer en toute conscience le statut des paysans, devenu loi fondamentale de l’état. Grâce à la douceur du peuple plus encore peut-être qu’aux précautions du pouvoir, grâce au zèle et au dévoûment de la portion la plus éclairée de la noblesse qui, à l’exemple des Samarine et des Tcherkasski, se dévouait avec une admirable