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même en traits généraux, si je n’ajoutais que tout ce que je viens de vous dire en toute sincérité, comme tout ce que j’ai vu, entendu et observé, loin d’ébranler une minute ma conviction que pour l’essentiel nous avons suivi le vrai chemin et donné à l’affaire une bonne. direction, m’affermit au contraire davantage dans la pensée qu’en dehors de notre système, il n’y avait pas et il n’y a pas d’issue possible. Dans mes loisirs des derniers mois, j’ai souvent et sévèrement interrogé et ma conscience et la sèche réalité telle qu’elle se présente au village sans ornemens ni flatteries, et dans cette enquête j’ai puisé la ferme conviction que notre conscience est pure et que nous n’avons pas fait d’erreurs essentielles.

« Si on me donnait maintenant à réviser notre statut (pologénié) à tête reposée et sans égards pour les exigences d’autrui, je supprimerais le rachat de l’ousadba[1] (ainsi que nous l’aurions tous fait auparavant si nous en avions eu le pouvoir), j’abandonnerais quelques parties de la réglementation, je remanierais[2] la rédaction de beaucoup d’articles en vue du manque de conscience des paysans, chose que nous avons beaucoup trop oubliée : je réduirais tout le statut à cent ou cent cinquante articles en trois classes et, cela fait, je ne changerais rien d’essentiel. Du reste je puis chaque jour me convaincre que, parmi les propriétaires cultivés, les préventions contre notre œuvre commencent à se dissiper. Le temps montrera jusqu’à quel point est fondée cette illusion… »

Les impressions de Samarine venaient confirmer celles du prince Tcherkasski.


G. Samarine à Milutine.


« Samara, 19 mai 1861.

« R. m’a apporté votre lettre avant-hier, très affectionné Nicolas Alexèiévitch, et son frère, qui part pour l’étranger aujourd’hui, se charge de jeter la mienne à la poste dans la première ville allemande[3]. Au premier instant, lorsque j’ai appris le renvoi de Serge Stépanovitch Lanskoï et votre nomination au sénat, j’ai éprouvé le sentiment naturel qu’il est inutile de nommer. Le sans-façon de ce procédé est frappant. Ensuite j’en suis venu à la conviction que

  1. L’ousadba est le petit enclos ou jardin attenant d’ordinaire à l’izba du moujik en dehors des terres de la commune.
  2. Le mot malheureusement est effacé ou illisible, mais le sens me parait clairement indiqué par le contexte.
  3. Précaution habituelle contre la poste russe.