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partiels, surtout de refus de travail ; d’un autre côté, des paysans à la redevance (obrok) essaieront de retourner à la corvée qui, loin de déplaire, aujourd’hui que toute autorité personnelle du seigneur est abolie, attire plutôt le paysan par l’espoir assez fondé de fainéantiser impunément avec la corvée. C’est là le côté faible du règlement (pologénié) tel qu’il est sorti des amendemens du haut comité (glavni komitet) ou du conseil de l’empire, et le paysan l’a bien vite compris avec son instinct pratique habituel. Cela rend extrêmement difficile et désagréable la situation de notre ami, le modeste arbitre de paix. Je vous avoue que je ne songe pas sans effroi aux nombreuses épreuves qui m’attendent à ce titre, et qu’en dépit de votre demi-disgrâce, je vous envie beaucoup. On voudrait faire respirer au paysan un air nouveau, une vie nouvelle et cela au milieu de l’universelle agitation des propriétaires et de l’administration, au milieu de l’ignorance des classes inférieures et de toutes nos pernicieuses traditions : vous voyez qu’on n’y arrivera pas vite. Dans bien des cas, hélas ! l’obstacle viendra du peu de conscience des paysans eux-mêmes, devenus friands de bien-être matériel et malheureusement trop souvent dépourvus de frein moral et trop ignorans pour savoir modérer leurs convoitises à l’égard du bien d’autrui. Tout cela sans doute n’est que le mauvais côté de toute grande transformation sociale, si légitime, si bienfaisante. et indispensable qu’elle soit. Tout cela avec le temps ne tardera pas à disparaître graduellement, mais il nous faut du temps, beaucoup de patience, et un tact politique qui nous fait souvent défaut.

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« Il est impossible de ne pas reconnaître que la position des propriétaires, dans ces premiers temps surtout, n’a certainement rien d’enviable. Chez beaucoup de paysans fermente confusément l’idée qu’ils doivent être affranchis de toute redevance, en sorte que fréquemment les propriétaires s’attachent à notre code (pologénié) comme à une ancre de salut.

« Il n’y a aucune possibilité, à l’heure actuelle, d’arriver à des accords à l’amiable, quels que soient les sacrifices consentis par le seigneur, si excessives sont les espérances des paysans. Je voudrais que les défenseurs du système des accords à l’amiable, à l’exclusion de tout autre, vissent de près la situation des choses dans l’intérieur de la Russie ; ils auraient une brillante occasion de se convaincre de la vanité de leurs théories et du caractère enfantin de leurs rêveries des deux dernières années.

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« Voilà, très affectionné Nicolas Alexèiévitch, quelques-unes de mes impressions générales ; mais je serais loin de vous avoir tout dit