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prévoir. L’empereur désire sincèrement l’introduction consciencieuse de la réforme. Les autres, quoique habitués à mettre les questions de personnes au-dessus de tout le reste, paraissent cette fois conserver au fond une sourde espérance de tout refaire à leur guise. La première attaque a été dirigée contre le ministère de l’instruction publique. Une commission spéciale est chargée de réviser et de restreindre les statuts des universités. En un mot, on est en train de calfeutrer (konopalit) toutes les fentes par où l’air pur pourrait pénétrer au Palais-d’Hiver. Tout cela était inévitable, mais ne saurait guère durer longtemps. La pression extérieure est trop persistante pour que les obstacles imaginés par la camarilla résistent au choc de l’air libre. En outre, les penchans humanitaires du souverain le préserveront d’une réaction à courte vue et sans idée. J’en suis fermement convaincu : le temps, la réflexion et aussi les essais même de réaction viendront à notre secours. La vraie lutte et le vrai travail ne sont plus maintenant ici (à Pétersbourg), mais dans les localités (en province). Je souhaite de toute mon âme que la portion libérale de la noblesse et les gens dévoués à notre cause ne s’en écartent point ; en ce cas, toutes les chicanes des gens de cour et des bureaux ministériels seront impuissantes comme a été impuissante jusqu’à présent l’opposition des propriétaires-fonctionnaires (des tchinovniks-pomechtchiks).

« En partant d’ici le cœur joyeux pour moi et pour les miens, je voudrais regarder d’un cœur aussi tranquille notre situation générale. Je cherche involontairement un appui pour mes espérances et mes désirs, et cet appui il est difficile de le trouver ici, où l’intrigue est en pleine fermentation. Les événemens de Riazan et de Penza ont beaucoup aidé à la réaction[1]. V. a débuté dans son ministère avec douceur et souplesse (miagko i ouklonichivo). Il m’a promis de soutenir Solovief[2], mais il faut s’attendre à de vives attaques. Je rends mon appartement, car je voudrais pour toute une année bannir jusqu’au souvenir de Pétersbourg. — Au nom des plus purs intérêts et de tous les souvenirs de notre œuvre commune, je vous conjure de vous abstenir et de faire abstenir nos amis de toute manifestation. »

Une des choses, comme on le voit, que redoutaient le plus Milutine et les avocats du peuple, c’étaient des manifestations ou des désordres qui, en effrayant ou irritant le souverain, eussent donné

  1. Il s’agissait d’émeutes de paysans pressés d’entrer en liberté ou réclamant des terres gratuites.
  2. Fonctionnaire distingué, directeur du Zemskii otdél, Solovief, ami et ancien collègue de Milutine aux Commissions de rédaction, ne devait se maintenir au ministère de l’intérieur que jusqu’en 1863, et après avoir été congédié, il devait redevenir l’un des principaux collaborateurs de Milutine et de Tcherkasski en Pologne.