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combinaison ; l’empereur lui restait opposé. Il consentait au congé de Milutine, mais loin d’être disposé à le faire ministre, il ne pouvait se décider à le confirmer dans ses fonctions d’adjoint[1].

Cette répugnance du souverain s’expliquait aisément. Entouré d’une cour généralement hostile à Milutine, il entendait répéter que c’en était fait de la noblesse si l’on confiait à un pareil homme l’exécution des lois agraires sanctionnées par la charte d’émancipation. Milutine était plus que jamais représenté comme l’adversaire systématique des propriétaires, n’ayant d’autre dessein que de les ruiner au profit des paysans. Un prince droit et scrupuleux, ayant l’ambition de faire le bonheur de tous et justement désireux de ne pas imposer de trop lourds sacrifices à sa fidèle noblesse, ne pouvait fermer l’oreille à toutes les plaintes de ce genre. Il avait résisté tant qu’il avait cru l’adjoint de Lanskoï indispensable à l’achèvement de l’œuvre. Un billet de la grande-duchesse Hélène montre à quel point les influences hostiles à Milutine avaient circonvenu le souverain.


La Grande-Duchesse Hélène à N. Milutine,


« 29 avril 1863.

«… Si vous voyez l’empereur seul et qu’il vous parle encore de la noblesse, vous devriez bien lui dire que vous n’êtes pas contre elle, mais que vous êtes peiné et honteux que votre caste réponde si peu à ce qu’elle devrait être. »

Au moment où la grande-duchesse lui donnait ce tardif conseil, les adversaires de Nicolas Alexèiévitch avaient déjà obtenu son éloignement. Lanskoï, et Milutine avaient quitté le ministère, tous deux ayant été congédiés simultanément au milieu d’avril. Afin de mettre un terme aux clameurs des propriétaires affolés par le fantôme d’une ruine prochaine, Alexandre II, en butte à d’incessantes obsessions, s’était enfin décidé à retirer l’exécution de ses oukases aux hommes qui les avaient préparés, pour la transmettre à des mains qui ne pussent être suspectes de partialité contre la noblesse.

  1. «… Lanskoï m’a chargé hier soir de dire au grand-duc que vous aviez réellement besoin d’aller à l’étranger, et que l’empereur avait déjà consenti préalablement à votre congé. Il ajoute qu’il ne comprend pas pourquoi l’empereur ne veut point vous confirmer dans vos fonctions, d’autant plus qu’en refusant cette confirmation Sa Majesté a un air confus. » (Lettre de M. G… à Milutine, 4 mars 1861.)